Heures supplémentaires obligatoires, manque de personnel, épuisement : oui, les problèmes criants dénoncés ces jours-ci par les infirmières ont un air de déjà-vu. Justement, l'urgence n'est pas de distribuer des blâmes, mais de remédier à la situation - bref, de faire d'une priorité ce qui est depuis trop longtemps toléré.

Le cri du coeur d'Émilie Ricard, jeune infirmière débordée par sa charge de travail de nuit en CHSLD, a été répercuté plus de 52 000 fois sur le réseau Facebook. Impressionnant, mais pas si étonnant. Collègues, patients, proches, tous ont reconnu cette figure tristement familière dans notre système de santé, et partagé son sentiment de frustration et d'impuissance. Ce cri-là a porté d'autant plus qu'il est loin d'être isolé. Au cours des dernières semaines, on a aussi vu des équipes d'infirmières de Laval, de Trois-Rivières et de la Montérégie retarder le début de leur quart pour protester contre la charge excessive qui les attendait. Et la lettre ouverte d'une quinzaine de membres de la profession publiée hier dans nos pages a suscité un flot de témoignages.

Est-ce pire depuis la réforme du ministre Barrette ? Plusieurs se sont empressés de le dire, mais franchement, c'est une question bien peu pertinente dans les circonstances.

Soyons honnêtes : même s'il était possible d'effacer cette réforme d'un claquement de doigts, le système de santé ne redeviendrait pas une espèce de paradis perdu où règnerait l'harmonie et l'absence d'heures supplémentaires obligatoires. La part de responsabilité du gouvernement Couillard ne change rien à l'affaire : c'est à lui de s'en occuper parce que c'est lui qui est au pouvoir.

La dernière négociation collective a ouvert deux avenues prometteuses : la possibilité d'établir des ratios d'infirmières en fonction du nombre de patients et de la lourdeur des soins, et l'augmentation des postes à temps complet dans le réseau. Le comité sur les ratios progresse trop lentement, dénonce la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Les infirmières ne posent pas leur candidature aux postes affichés, déplore le ministre.

Ce sont là deux chantiers importants, qui répondent à des demandes de longue date et doivent être poursuivis, mais de toute évidence, ce n'est pas ce qui va régler la situation rapidement.

À l'hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval, par exemple, seulement 22 des 34 postes d'infirmières ouverts en novembre dernier ont été pourvus. Combien le seront parmi les 38 qui sont actuellement affichés ? Même si la direction en a modifié certains pour les rendre un peu plus attrayants, c'est bien difficile à prédire. De plus, la date d'entrée en fonction ne sera pas nécessairement immédiate, les postes pouvant, par exemple, être attribués à des infirmières en congé de maternité.

Les grands syndicats comme la FIQ et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) assurent ne pas avoir donné de mot d'ordre à leurs membres, mais ils ne se privent pas de faire écho à leurs initiatives. La FIQ, qui avait justement lancé une campagne de sensibilisation sur le sujet en décembre dernier, renchérit avec des messages vidéo chocs depuis deux jours. Le contexte de relations de travail, alors que s'amorce la négociation des clauses locales dans les établissements, n'est pas étranger à ce durcissement de ton. Et ce ne sont évidemment pas toutes les infirmières du réseau qui sont accablées d'heures supplémentaires obligatoires, ou qui sont débordées au point de devoir offrir des soins qu'elles jugent insuffisants. Mais il y en a, et il faut s'en occuper.

On a des pistes de solution à long terme ? Bravo, mais que fait-on en attendant qu'elles fassent effet ? Les établissements ont-ils l'obligation d'instaurer un contexte de travail acceptable pour leurs infirmières ? Et ont-ils vraiment toute la marge de manoeuvre requise pour le faire ? Bref, est-ce vraiment une priorité ? On demande à voir.

Où est la relève infirmière ?

1600

Nombre d'infirmières ayant obtenu leur droit d'exercice au cours des deux dernières années (2015-2016 et 2016-2017) n'exercent pas leur profession.

81 %

Proportion des infirmières ayant obtenu leur droit d'exercice en 2016-2017 travaillent à temps partiel, un bond spectaculaire depuis quatre ans (53 % en 2012-2013).

Source: Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.

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