La ministre de la Justice Stéphanie Vallée vient de mettre l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) sous tutelle. Ce n'est pas trop tôt. Ce traitement-choc devrait permettre d'accélérer le virage amorcé à pas de tortue. Mais le plus grand défi sera de s'assurer que l'Ordre devienne lui-même capable de se gouverner en fonction de l'intérêt public.

La mise sous administration décrétée la semaine dernière permettra de vaincre les résistances d'une partie des membres de l'Ordre et de son conseil d'administration.

Non seulement les décisions du conseil devront être approuvées par les trois administrateurs mandatés par Québec, mais ceux-ci pourront également imposer des résolutions.

L'OIQ a déjà fait quelques pas dans la bonne direction, mais plusieurs éléments, dont la faible cotisation, responsable du sous-financement du syndic selon la commission Charbonneau, demeurent problématiques.

Certes, le Bureau du syndic a vu son budget tripler, et son personnel doubler, depuis 2009. Et le conseil s'est engagé à lui fournir les ressources nécessaires. Sauf que ses finances, qui dépendent des cotisations, sont très fragiles.

Rappelons que la cotisation (310 $ l'an dernier) est l'une des plus faibles de tous les ordres professionnels. Seuls les technologistes médicaux (281 $) et les infirmières auxiliaires (185 $) paient moins cher. On est loin des médecins (1380 $) et des dentistes (1710 $), ou même des architectes (898 $) et des comptables (875 $).

Soucieuse de ménager ses membres, l'OIQ a décidé l'an dernier d'augmenter progressivement la cotisation jusqu'à 395 $ en 2021. L'effort demandé, on le voit, est très raisonnable. Et pourtant, le conseil a déjà reculé. La hausse de 2017-2018 sera seulement de 15 $, au lieu de 25 $, a-t-il décidé ce printemps. Motif ? Un déficit moindre que prévu - près de 700 000 $ tout de même... Les deux prochaines années s'annoncent également déficitaires, ce que le conseil prévoyait absorber en puisant dans ses surplus.

Il serait étonnant que les administrateurs nommés par Québec approuvent ce scénario. Et cette fois, les membres ne pourront plus bloquer les hausses de cotisation en assemblée générale : le projet de loi 98, qui vise à modifier le Code des professions, a fermé cette porte.

S'occuper de ces problèmes de financement et des recommandations du rapport Pilote-Lamontagne qui restent à mettre en oeuvre ne règlera pas tout. La ministre Vallée, heureusement, en est consciente. Elle veut voir un changement de culture, notamment dans les relations entre le conseil et la direction de l'Ordre. Mais il faudra davantage : toute la relation entre l'Ordre et ses membres est à rebâtir. Vaste chantier.

Beaucoup d'ingénieurs ont une vision très technique, et trop limitée, des responsabilités de leur profession.

La commission Charbonneau a pourtant été claire : en rejetant les signalements de collusion et de corruption qui lui avaient été faits, l'OIQ a fait preuve de laxisme, en contradiction avec son propre code de déontologie.

En même temps, plusieurs des quelque 61 000 membres de l'Ordre disent ne poser aucun acte réservé. S'ils utilisent le titre d'ingénieur, il est évident qu'ils doivent se conformer aux exigences de l'OIQ. Mais justement, est-il nécessaire, voire souhaitable, qu'ils utilisent ce titre réservé ? La question devra se poser, car beaucoup de critiques envers la cotisation, et l'usage qui en est fait, viennent d'ingénieurs qui s'identifient beaucoup plus à leur profession qu'à leur Ordre. On voit mal comment celui-ci pourra continuer dans la direction voulue avec autant de membres qui ne partagent pas sa vision.

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