On sait depuis longtemps que la pauvreté augmente les risques de décrochage scolaire et de plusieurs problèmes de santé, en plus de réduire la longévité. Elle a aussi des effets négatifs sur les fonctions cognitives, montre une étude publiée cette semaine dans la revue américaine Science.

« Le système cognitif de l'être humain a une capacité limitée. Être préoccupé par des soucis financiers laisse moins de ressources disponibles pour effectuer des choix et poser des gestes », avancent les chercheurs.

Pour vérifier leur hypothèse, ils ont mené deux expériences dans des milieux très différents.

La première expérience a été réalisée dans un centre commercial du New Jersey, où les participants étaient soumis à des mises en situation financières avant d'exécuter des tâches à l'ordinateur.

On leur demandait par exemple d'imaginer que leur salaire soit réduit à cause de la situation économique. Seraient-ils capables de maintenir leur train de vie ? Que devraient-ils changer ? Cela aurait-il des effets sur leurs loisirs, leurs projets de voyage ou leur lieu de résidence ?

Ces scénarios avaient simplement pour but d'amener les sujets à se préoccuper de leur situation financière avant de passer les vrais tests, destinés à mesurer leurs capacités cognitives. Une partie d'entre eux avaient d'ailleurs droit à une variante plus dramatique - une réduction de salaire de 15 % au lieu de 5 %, une dépense imprévue de 2000 $ au lieu de 200 $, etc.

Résultat ? Les scénarios moins dramatiques, donc moins préoccupants, n'ont pas affecté les performances aux tests. Avec les scénarios plus dramatiques, par contre, la différence entre les participants « pauvres » (ayant déclaré un revenu familial moins élevé) et les « riches » était flagrante. La performance des premiers était nettement plus faible.

Est-ce parce que les pauvres ont une expérience plus concrète des problèmes financiers ? Il est frappant de voir à quel point la seule évocation de tels problèmes les perturbe. On imagine ce que peuvent ressentir les gens en situation précaire lorsqu'une tuile supplémentaire leur tombe dessus : ils sont, littéralement, plus démunis.

La deuxième expérience portait sur près de 500 petits fermiers indiens qui sont dans une situation financière très difficile avant la récolte : incapables de payer leurs factures, ils empruntent de l'argent et vont chez les prêteurs sur gage. Les chercheurs leur ont fait passer des tests avant et après la récolte. Résultat ? Leur performance s'est révélée beaucoup plus faible avant qu'après.

« Ces deux études illustrent à quel point des conditions financières difficiles, très souvent indissociables de la pauvreté, peuvent réduire les capacités cognitives », souligne l'article.

Et cet effet est loin d'être négligeable. Les chercheurs ont comparé leurs résultats avec d'autres d'études mesurant l'influence de divers facteurs sur le même test.

Les soucis financiers ont un effet négatif comparable à :

-une nuit blanche

-13 points de quotient intellectuel (QI) de moins-être âgé de 60 ans au lieu de 45 ans

Quiconque a déjà eu des problèmes d'argent sait à quel point ceux-ci peuvent être stressants et détourner l'attention de tout le reste. Il sait aussi que les difficultés de concentration éprouvées alors n'étaient pas dues à une intelligence moindre, mais à un problème ponctuel.

C'est ce qui expliquerait, selon les auteurs, les résultats d'autres études montrant que les personnes démunies ont tendance à moins bien s'occuper de leur santé, à moins bien gérer leur argent ou à être moins productives au travail : pour ceux qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts, l'argent est une préoccupation et une source de distraction permanentes.

Les chercheurs suggèrent de tenir compte des dates récoltes dans les programmes éducatifs destinés aux fermiers des pays en développement, afin de les offrir au moment où ceux-ci sont le plus en mesure d'en profiter. Mais les pays développés pourraient aussi tirer des leçons de cette recherche, en simplifiant les démarches auxquelles les moins nantis doivent se soumettre pour avoir accès aux programmes d'aide pourtant conçus pour eux.

Le fait que plus de 10 % des Canadiens ayant droit à un supplément de revenu garanti ne le reçoivent pas est un bel exemple. Sachant à quel point les personnes  âgées sont vulnérables au stress, il est consternant qu'on ne prenne pas les moyens de réduire le stress financier des plus pauvres en s'assurant qu'ils reçoivent toutes leurs prestations. On n'aurait sans doute pas besoin de chercher longtemps pour trouver d'autres programmes (notamment parmi ceux destinés aux enfants) qui, en raison de leur complexité, n'atteignent pas leur clientèle et, donc, ratent leurs objectifs.

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