La justice américaine aura bien dû mal à obtenir la condamnation de l'agence Standard&Poor's (S&P) pour les cotes trop généreuses qu'elle a accordées avant juillet 2007. La poursuite entamée cette semaine aura quand même son utilité, ne serait-ce que pour garder le dossier de la crise ouvert.

«C'est comme si votre boucher vous assurait que la saucisse a été faite le matin même, sans mentionner qu'elle a été fabriquée avec de la viande qu'il sait avariée», a illustré le procureur général adjoint du département de la Justice (DOJ) mardi.

L'analogie avec des produits financiers composés d'un amalgame d'hypothèques résidentielles à risque est éloquente. Le problème, c'est que ce n'est pas S&P qui les vendait aux investisseurs. Elle fournissait l'opinion nécessaire à leur mise en marché.

C'est l'une des difficultés qu'aura le DOJ à établir sa responsabilité. L'agence de notation, malgré toutes les critiques qu'on peut lui adresser, n'a pas inventé une arnaque. Elle aurait tout au plus «participé à un complot pour frauder les investisseurs», pour citer la poursuite.

Que l'estampille AAA apposée par S&P sur ces saucissons de créances douteuses ait contribué à les écouler ne fait aucun doute. Mais ça ne fait pas d'elle une fraudeuse. Les procureurs devront démontrer que l'agence savait que ces produits financiers étaient pourris. C'est ce qu'ils tentent de faire avec des échanges internes évoquant la détérioration rapide du marché et les choix faits pour éviter que les émetteurs-payeurs n'aillent chez les concurrents.

La plus grosse agence de notation aux États-Unis a fait valoir qu'il y avait eu de vifs débats à l'interne, mais que ses cotes ont toujours fidèlement reflété son opinion. Si elle a, comme elle le prétend, des preuves que ces échanges ont été présentés hors contexte, nous ne donnons pas cher de la cause du DOJ.

Citer une parodie de la chanson Burning Down the House, ou un analyste affirmant que même si une transaction «était ficelée par des vaches, nous lui donnerions une cote», ça frappe l'imaginaire. Encore faut-il convaincre le tribunal que ces anecdotes sont la manifestation d'une fraude.

Le DOJ fait néanmoins oeuvre utile. Les cotes erronées ont joué un rôle central dans la formation et l'éclatement de la bulle immobilière. S&P dit avoir amélioré sa méthodologie, mais pour le reste, malgré les rapports officiels et la réforme Dodd-Frank, les règles du jeu n'ont pas vraiment évolué. Le régulateur des marchés financiers (SEC) a récemment constaté plusieurs manquements chez les principales agences, y compris des cas où elles n'avaient pas suivi leur propre méthodologie. Quatre ans après la crise financière, c'est inquiétant.

En attendant que les élus américains se décident à exiger de véritables changements, la poursuite du DOJ, et celles lancées par plus d'une dizaine d'États cette semaine, contribuent au moins à maintenir la pression et la mémoire collective.

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