Deux étapes majeures viennent d'être franchies dans l'affaire Earl Jones: la mise en faillite de la firme et le dépôt des premières accusations contre son propriétaire. Les enquêtes du syndic et de la police vont nous aider à reconstituer les faits. Mais si l'on veut que cette histoire serve à prévenir de futures fraudes, il va falloir se poser beaucoup d'autres questions.

Les investisseurs sont les premiers interpellés. Earl Jones, malgré ses prétentions de conseiller, ne s'était jamais enregistré auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Ne blâmons pas ses clients. Plusieurs le connaissaient (ou avaient été dirigés vers lui par des gens qui le connaissaient) depuis 20 ou 30 ans. À l'époque, le réflexe de vérifier les permis de tout un chacun était loin d'être acquis. Aujourd'hui, on s'attend à ce que le consommateur le fasse systématiquement, aussi bien pour son plombier que pour son planificateur financier. Et heureusement, le message commence à passer.

 

Depuis que ce scandale a éclaté, le 10 juillet dernier, l'AMF est inondée d'appels d'épargnants anxieux de vérifier la légitimité de leur conseiller. Bravo. C'est d'autant plus important que le dédommagement n'est pas automatique. Si le délinquant est enregistré, mais que la fraude porte sur un produit financier qu'il n'a pas le droit de vendre, la victime n'aura pas accès au fonds d'indemnisation. Combien d'investisseurs le savent? L'AMF doit trouver des moyens de rejoindre un public plus large, car il n'y aura pas toujours des scandales pour la propulser à l'avant de l'actualité.

Earl Jones n'avait pas de permis, mais il ne se cachait pas non plus. Il avait pignon sur rue dans une grosse tour à bureaux et affichait ses services dans de nombreux répertoires d'entreprises. Et, surtout, il s'était inscrit à titre de conseiller administratif et financier auprès du registraire des entreprises. Une incorporation qui lui donnait énormément de crédibilité. Qu'il ait pu fonctionner ainsi durant 25 ans sans être inquiété n'est pas normal.

Il n'est pas normal non plus que personne à Québec ne se sente interpellé par cette anomalie. Au bureau du ministre du Revenu, on nous dit que le rôle du registraire est de recueillir des informations et que ce n'est pas un organisme de surveillance. C'est un peu court. Bien sûr, l'AMF pourrait passer ce monstrueux fichier au peigne fin. Mais ce serait pas mal plus simple, et plus efficace, de responsabiliser le registraire. Pourquoi ne signalerait-il pas les entreprises financières au fur et à mesure qu'elles s'inscrivent? L'AMF pourrait intercepter les imposteurs pas mal plus rapidement, avant qu'ils ne recrutent trop de victimes. L'Autorité, de son côté, pourrait faire preuve d'un peu plus d'initiative et vérifier au moins les conseillers financiers inscrits dans les pages jaunes!

Finalement, il sera important de déterminer si les banques, comptables, notaires et avocats avec qui la Corporation Earl Jones faisait affaire ont une part de responsabilité. Des signatures auraient été imitées, des prêts faits entre clients à leur insu. Certains professionnels ont-ils fermé les yeux sur des signaux inquiétants? On ne peut pas dissuader tous les fraudeurs de tenter leur chance. Mais on devrait tout mettre en oeuvre pour les détecter le plus vite possible.

akrol@lapresse.ca

 

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