Comment peut-on manipuler des dizaines d'investisseurs durant des décennies sans être inquiété? C'est la question que tout le monde se pose aujourd'hui au sujet de Bertram Earl Jones, un gestionnaire de l'Ouest-de-l'Île soupçonné d'avoir détourné 30 à 50 millions des comptes de ses clients. On se demandait la même chose au sujet de l'escroc américain Bernard Madoff. Et dans les deux cas, on retrouve des éléments de réponse similaires. Un mélange de nature humaine et de mécanismes de surveillance déficients.

Il faut avoir parlé aux clients d'Earl Jones pour comprendre à quel point il était normal qu'ils lui fassent confiance. Et que c'est dans ce genre de situation, justement, qu'un investisseur et son entourage devraient se méfier.

 

La Corporation Earl Jones avait ses bureaux dans une grosse tour miroitante de Pointe-Claire. Elle s'annonçait aussi dans les pages jaunes. Mais ses présumées victimes n'arrivaient pas là par hasard. Elles connaissaient le gestionnaire personnellement, parfois depuis des dizaines d'années, ou lui avaient été recommandées par des proches qui le fréquentaient depuis longtemps. L'homme jouissait d'une confiance telle, qu'aucun de ses clients, avant la semaine dernière, n'avait jamais posé la moindre question à son sujet à l'Autorité des marchés financiers (AMF). Et pourquoi l'auraient-ils fait? Jusqu'à récemment, tout semblait marcher comme sur des roulettes. Earl Jones réglait les successions, faisait fructifier l'argent, expédiait les chèques, payait les impôts et envoyait des états de compte faisant état des rendements. Une grande partie de la clientèle se composait de retraités, parmi lesquels beaucoup de veuves. Pas exactement le genre de personnes à chercher des poux sans raison. Voilà pour la nature humaine.

Les mécanismes de surveillance, maintenant. Les clients se sont fait asséner coup sur coup deux nouvelles accablantes. Non seulement les comptes bancaires sont-ils vides, mais ils ne peuvent rien espérer au Fonds d'indemnisation des services financiers, car Earl Jones n'était pas enregistré auprès de l'AMF. Sauf que l'organisme n'est pas seul en cause. Car s'il est responsable d'épingler les imposteurs, il ne devrait pas être le seul à les détecter. On a reproché bien des choses à l'AMF, et à la Commission des valeurs mobilières qui l'a précédée. Mais on ne peut pas lui demander de repérer seule tous les individus qui se prétendent conseillers financiers sans en avoir le droit. D'autres aussi devraient tirer la sonnette d'alarme.

La Corporation Earl Jones était inscrite comme «conseiller administratif et financier» auprès du Registre des entreprises depuis près de 15 ans. Comment une firme peut-elle obtenir une reconnaissance officielle de ses activités sans que l'organisme chargé de les encadrer n'en soit au moins informé? C'est inacceptable.

Si le gouvernement québécois veut vraiment protéger les investisseurs, il doit faire beaucoup plus d'efforts pour stopper les faux conseillers financiers. Surtout ceux qui s'affichent ouvertement comme tel auprès de ses ministères ou dans les pages jaunes!

En attendant, les investisseurs qui n'ont jamais vérifié si leur conseiller est en règle auprès de l'AMF devraient le faire immédiatement. Surtout s'ils ont toujours eu confiance totale en lui.

 

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