L'incertitude économique est telle qu'en ce moment, même les travailleurs dont l'emploi paraît assuré remettent leurs achats en question. Mais comme l'a souligné le gouverneur de la Banque du Canada cette semaine, ce réflexe de prudence risque au contraire d'empirer la récession.

C'est ce que le célèbre économiste John Maynard Keynes a appelé le paradoxe de l'épargne. Un particulier qui décide, en période de ralentissement économique, de restreindre ses dépenses et d'épargner davantage adopte un comportement parfaitement rationnel. Mais si ce même comportement se généralise à l'ensemble de la population, il devient nuisible: il aggrave cette récession dont chacun essaie de se protéger.

 

Le problème, c'est que les consommateurs canadiens n'abordent pas cette période difficile avec un bilan blanc comme neige. Au contraire, le niveau d'endettement des ménages n'a cessé d'augmenter au cours des dernières décennies. Il a pratiquement doublé depuis les années 80, pour atteindre 137% de leur revenu cette année. C'est moins critique qu'aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais pour certains, c'est déjà trop. Le nombre de faillites personnelles et la proportion de prêts hypothécaires en souffrance a augmenté au cours de la dernière année.

Ne soyons pas alarmistes. Il s'agit seulement d'une «modeste dégradation», souligne notre banque centrale. «Cependant, la hausse du niveau d'endettement implique qu'un grand nombre de ménages canadiens deviennent plus vulnérables à des chocs économiques négatifs», note l'institution dans sa plus récente Revue du système financier.

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant, ni même répréhensible, que des travailleurs se remettent à épargner. Ou, à tout le moins, qu'ils commencent à rembourser leurs dettes. La consommation personnelle est un moteur important de l'économie, c'est vrai. Mais on ne pourra pas acheter notre sortie de la récession. C'est ce que les Américains ont essayé de faire après le 11 septembre 2001, avec les résultats désastreux que l'on sait. Le discours du président Bush ordonnant à ses concitoyens «d'aller magasiner davantage» pour soutenir l'économie apparaît aujourd'hui complètement surréaliste. Le patriotisme du porte-monnaie a fait long feu. Nos voisins ont vécu, littéralement, sur du temps emprunté. En voulant s'épargner une récession, ils ont créé une crise pire que tout ce qu'on redoutait en 2001.

Laissons les consommateurs se refaire une santé financière. Dans l'immédiat, le risque d'effet pervers vient plutôt des institutions prêteuses. «Il existe une demande de crédit non comblée pour des projets valables», a confirmé le gouverneur de la Banque du Canada en entrevue au Globe and Mail cette semaine. Si même les entreprises rentables, dont le carnet de commandes est bien garni, n'arrivent plus à obtenir de financement, on va avoir de sérieux problèmes. Des emplois ne seront pas créés, d'autres seront supprimés, intensifiant à coup sûr la récession. Heureusement, Québec et Ottawa semblent disposés à offrir des garanties de prêts pour rassurer les prêteurs. Ce genre d'intervention, lorsqu'elle cible des entreprises saines et des projets porteurs, a beaucoup plus de chances de porter fruit qu'un envoi massif de chèques aux contribuables.





 

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