La Fédération autonome de l’enseignement vient de lancer une tournée partout au Québec en réclamant des augmentations de salaire pour ses membres, mais aussi de meilleures conditions de travail. Leur slogan : « Nous, les profs, c’est à notre tour. »

Comment les contredire ?

Après on ne sait plus trop combien d’années de vaches maigres lors desquelles les enseignants ont tenu le réseau de l’éducation à bout de bras, ça devrait être leur tour. Sans l’ombre d’un doute.

Depuis trop longtemps, les enseignants québécois travaillent dans l’adversité. Ils sont un peu comme des marins qui, chaque fois qu’ils prennent la mer, seraient forcés d’affronter une succession de tempêtes.

« On manque d’air », a résumé Josée Scalabrini de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) lors d’une rencontre éditoriale à La Presse cette semaine. L’image est forte, mais ô combien conforme à la réalité !

La tâche des enseignants s’est alourdie et leurs conditions de travail se sont détériorées. Pendant ce temps, leurs salaires ont stagné.

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Si la discussion avec Québec tournait au dialogue de sourds, ce serait à la fois décevant… et étonnant !

La CAQ dit faire de l’éducation une priorité. Il serait logique, en ce sens, de prioriser les enseignants.

En commençant par la rémunération. Un rattrapage s’impose pour les enseignants à l’école publique. Et en cette période de prospérité et de surplus, le contraire serait difficile à défendre.

On ne va pas ici se prononcer sur un chiffre qui serait approprié. Laissons les négociations suivre leur cours. On va toutefois souligner que les enseignants québécois sont parmi les moins bien payés au pays. Dès leur arrivée dans la profession, d’ailleurs.

PHOTO LOUIE PAUL, ARCHIVES THE GLOBE AND MAIL

« Régler ces problèmes dans le but d’en finir avec la dévalorisation a le potentiel d’avoir un impact majeur », écrit notre éditorialiste.

La FSE indique que le salaire annuel initial est, au Québec, inférieur « de 13 500 $ à la rémunération moyenne versée dans les autres provinces ». Ici, un enseignant débutant est actuellement payé 42 431 $ par année.

« La profession enseignante est sous-payée par rapport à ce qu’elle vaut », affirment les représentants de la FSE. Ils réclament des augmentations substantielles pour leurs membres. À l’instar de la FAE, qui suggère pour sa part, notamment, l’abolition des six premiers échelons de l’échelle salariale – qui en comporte 17. À l’échelon le plus élevé, un enseignant reçoit 82 585$.

Notons que la CAQ a publié un plan de valorisation de la profession enseignante dès mai 2018. La formation politique y propose de nombreuses initiatives pertinentes, dont une bonification du salaire des enseignants afin de « rehausser l’attractivité de la profession ». L’élimination des premiers échelons de l’échelle salariale fait partie de ce plan.

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Hélas, se limiter à faire grimper les salaires ne suffira pas si on veut véritablement valoriser la profession. 

Ce n’est pas seulement parce qu’ils s’estiment sous-payés qu’un grand nombre d’enseignants quittent la profession au cours des cinq premières années passées dans le réseau de l’éducation. Ou que d’autres, en fin de carrière, prennent la fuite plus tôt qu’ils l’auraient souhaité parce qu’ils sont au bout du rouleau.

Si le gouvernement souhaite vraiment « fournir au personnel enseignant l’encadrement et le soutien qui lui permettront d’amener chaque élève à développer son plein potentiel », comme l’écrivait Jean-François Roberge avant de devenir ministre de l’Éducation, il a du pain sur la planche.

Il faudrait commencer par trouver une façon de formaliser l’accompagnement des nouveaux enseignants pour favoriser leur intégration. De continuer à développer le système de mentorat, donc, cette riche idée mise de l’avant par la CAQ.

Et pour ça, il y aura forcément des aménagements à faire dans les horaires. Québec aurait tout avantage à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Pourquoi ne pas faire de la place pour répondre à d’autres demandes légitimes en la matière, comme celles en lien avec la formation continue ? Les enseignants disent avoir besoin de plus de temps, notamment pour suivre des formations adaptées à leurs besoins.

On ne peut surtout pas, non plus, passer à côté du défi posé par les élèves en difficulté, dont l’intégration dans les classes ordinaires des écoles publiques se fait trop souvent sans fournir suffisamment de services ou de ressources. Pensons-y : on rapporte désormais des cas de classes ordinaires où près d’un élève sur deux est jugé en handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ! Une situation intenable dans les circonstances.

Par ailleurs, qui dit valorisation dit aussi autonomie. Les enseignants ont l’impression d’avoir régressé sur ce plan. C’est une revendication fréquente : cette impression tenace qu’on les considère comme de simples exécutants en irrite plus d’un. Entre autres pour ce qui est du choix des approches pédagogiques ou des instruments d’évaluation.

Enfin, Québec aurait tout avantage à se pencher sur le problème de la précarité pour certains enseignants, qui, inexplicablement, demeure un enjeu en cette ère de pénurie.

Ça peut sembler beaucoup tant cette liste est longue. Mais en fait, considérant ce qui est en jeu, c’est bien peu.

Car régler ces problèmes dans le but d’en finir avec la dévalorisation a le potentiel d’avoir un impact majeur. De provoquer une réaction en chaîne qui aura des conséquences positives tant sur l’attractivité de la profession que sur la qualité de l’enseignement et, du coup, sur la réussite des élèves.

Vu sous cet angle, si c’est « au tour » des enseignants, c’est aussi « au tour » des élèves et, par conséquent, du Québec au grand complet.

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