En réaction au meurtre atroce du journaliste Jamal Khashoggi, c'est l'Allemagne qui, de tous les pays occidentaux, a fait le geste le plus significatif.

Le pays d'Angela Merkel a suspendu les ventes d'armes à l'Arabie saoudite jusqu'à nouvel ordre. Et son ministre de l'Économie a demandé aux autres pays européens de faire la même chose tant que la lumière n'aura pas été faite sur la mort de Jamal Khashoggi.

«Il n'y a aucun effet positif si nous restons les seuls à arrêter les exportations et si en même temps d'autres pays comblent le trou.» Le constat est implacable. Mais il est juste.

Pour l'instant, hélas, rares sont les pays qui ont répondu à cet appel, pourtant fort lucide. Au Canada, difficile de ne pas donner raison à la députée du NPD Hélène Laverdière qui a affirmé récemment que «les libéraux ne font rien à part parler» dans ce dossier.

Il est vrai que Justin Trudeau n'a pas fermé la porte à des représailles. Mais il a aussi prévenu hier que cesser de vendre des véhicules blindés signifierait «des pénalités exorbitantes (pour) les Canadiens».

Il aurait tout avantage à nous en dire plus à ce sujet. Ces pénalités s'appliquent-elles en cas de simple moratoire comme celui de l'Allemagne ou uniquement en cas d'annulation du contrat? Et de quelle somme parle-t-on?

Par ailleurs, le premier ministre canadien est-il en train de nous dire que l'argent - du moins lorsqu'il y en a beaucoup en jeu - n'a pas d'odeur?

Ottawa pourrait par ailleurs sanctionner des Saoudiens à l'aide de la loi «Magnitsky», du nom d'un avocat russe mort en prison en 2009. Elle a été adoptée l'an dernier pour pénaliser des dirigeants étrangers qui ont violé les droits de la personne. On l'a utilisée, depuis, contre des Vénézuéliens, des Soudanais et des Birmans, précise-t-on au ministère des Affaires étrangères.

Le député conservateur Tony Clement en a fait la suggestion. Le gouvernement n'a pas dit non. Mais il n'a pas non plus dit oui...

Pourtant, le temps presse. Il est important pour Ottawa d'agir avant que la poussière ne retombe. La vraie nature du nouvel homme fort saoudien, Mohammed ben Salmane, a été révélée. Le gouvernement canadien ne peut pas, sans renier ses valeurs et ses principes, se comporter comme si de rien n'était.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé hier que «Jamal Khashoggi a été victime d'un meurtre sauvage» et prémédité. Il est, sur ce point, très difficile à contredire. Il a d'ailleurs posé la question à laquelle le régime saoudien devrait pouvoir répondre s'il n'avait rien à cacher : où est le corps?

Les explications saoudiennes sont tellement loufoques que même Donald Trump, qui a d'abord dit les juger «crédibles», a dû faire marche arrière, ne voulant pas avoir l'air du type qui n'a pas inventé le bouton à quatre trous. Il été forcé d'admettre que «leurs histoires partent dans tous les sens». En somme, qu'ils nous prennent pour des imbéciles... C'est intolérable.

Ne pas sanctionner le régime saoudien alors qu'il vient d'être pris la main dans le sac et continue de nous narguer avec arrogance serait une erreur stratégique (d'autant plus qu'il ne s'est pas gêné, lui, pour rompre ses relations commerciales avec nous il y a deux mois lorsque la ministre des Affaires étrangères canadiennes a simplement réclamé la libération de militantes, notamment la soeur de Raif Badawi!).

Ce serait lui prouver qu'il peut continuer à commettre des crimes impunément s'il nous achète suffisamment d'armes. Ce n'est certainement pas ce qu'on veut envoyer comme message aux auteurs de ce crime ignoble.

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