Les jeux sont faits et rien ne va plus pour Michaëlle Jean.

Rares sont ceux, du moins de ce côté-ci de l'océan, qui vont déplorer sa retraite prématurée. Il serait toutefois sage de ne pas pousser de cris de joie.

La nomination annoncée de la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, comme prochaine secrétaire générale de la Francophonie, est préoccupante. Enlevons tout de suite nos lunettes roses.

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La candidature de Michaëlle Jean pour un deuxième mandat était loin de faire l'unanimité. La gestion des finances de l'Organisation internationale de la Francophonie a été montrée du doigt - et l'ancienne gouverneure générale a été qualifiée de princesse - , mais c'était vraisemblablement le symptôme d'un mal plus profond.

Dans les coulisses, on indique que sur le plan politique aussi, Michaëlle Jean a semblé avoir du mal à s'adapter à ses nouvelles fonctions. François Legault et Justin Trudeau n'ont donc pas commis un crime de lèse-majesté en la laissant tomber. Même si ça signifie que nous perdrons forcément de l'influence sur la scène internationale.

Du changement était souhaitable, donc. Mais celui qui s'annonce laisse, au mieux, perplexe. 

Alors que la démocratie est en régression dans le monde, on offre à un pays qui fait partie de ceux qui la bafouent, la voix et le visage de la Francophonie sur un plateau d'argent.

C'est d'autant plus aberrant que le renforcement de la gouvernance démocratique et de l'État de droit est un des principes fondamentaux du mandat de l'Organisation internationale de la Francophonie (sous Michaëlle Jean, l'Organisation a d'ailleurs participé à plus d'une centaine de missions d'accompagnement à ce chapitre).

Amnistie internationale a résumé l'an dernier la situation troublante qui a cours au Rwanda. «Les attaques contre l'opposition politique, les médias indépendants, la société civile et les défenseurs des droits humains ont instauré un climat de peur», a rapporté l'organisme.

En juillet dernier, c'était au tour de Reporters sans frontières de se manifester. L'organisme a dit s'inquiéter de la candidature de Louise Mushikiwabo. Au classement mondial de la liberté de la presse, le Rwanda se trouve au... 154e rang!

Ce n'est pas tout. Quatre anciens ministres français de la Coopération ont fait paraître dans le quotidien Le Monde, le mois dernier, un texte très dur intitulé «Louise Mushikiwabo n'a pas sa place à la tête de la Francophonie». Outre la question démocratique, ils dénoncent l'attitude du Rwanda face à la langue française. Le pays ne «cesse de prendre ses distances» avec elle, ayant entre autres opté pour l'anglais comme langue nationale et décidé de l'utiliser dans l'enseignement.

En somme, plutôt que de pousser des cris de joie, il faut sonner l'alarme!

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Le mois dernier, le Rwanda a libéré plus de 2000 détenus considérés comme des prisonniers politiques. On a cru comprendre qu'il s'agissait en quelque sorte d'un mea culpa. D'une façon de montrer que le pays était prêt à faire mieux pour être digne de diriger la Francophonie.

Si c'est le cas, c'est un premier pas non négligeable. Mais le défi de la future secrétaire générale reste entier. Il faudra suivre de très près autant les gestes qu'elle fera que ceux qu'elle ne fera pas. La légitimité de l'Organisation internationale de la Francophonie est en jeu.

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LES SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX DE LA FRANCOPHONIE

Boutros Boutros-Ghali (Égypte) 1998 à 2002

Abdou Diouf (Sénégal) 2003 à 2014

Michaëlle Jean (Canada) 2015 jusqu'à maintenant

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