« Voir les choses en grand est impossible pour les nains. »

C'est ce qu'a lancé Recep Tayyip Erdogan en janvier dernier au sujet de son nouveau palais présidentiel, inauguré quelques mois plus tôt. Un édifice somptueux qui, avec ses 1150 pièces, fait passer le 24 Sussex du premier ministre canadien pour un bungalow sans envergure.

La construction d'un tel palais confirmait ce que dénonçaient depuis un certain temps les détracteurs du président turc. Erdogan se comporte de plus en plus, après 13 ans à la tête de la Turquie, comme un des sultans qui la dirigeaient à l'époque de l'Empire ottoman.

Il a été brièvement ramené sur terre en juin dernier par un cuisant revers. Son parti islamo-conservateur (l'AKP) avait alors perdu sa majorité au Parlement. Un obstacle de taille pour Erdogan, qui avait dit vouloir renforcer sa majorité dans le but de modifier la Constitution du pays. Il désirait se doter de pouvoirs accrus en tant que président.

Cette leçon d'humilité a été de courte durée. De nouvelles élections ont été nécessaires car aucune coalition gouvernementale n'a pu être formée. Lors de ce scrutin, dimanche, le parti d'Erdogan a repris le contrôle du Parlement. Il a obtenu 316 sièges sur 550.

La victoire a été interprétée, avec raison, comme un vote des électeurs turcs pour la stabilité. Le pays partage une frontière longue de 822 kilomètres avec ce baril de poudre qu'est la Syrie - équivalente à la frontière entre le Québec et les États-Unis. Il est dans la ligne de mire du groupe État islamique. Et il a été frappé par des attentats sanglants ces derniers mois.

Un leader fort qui promet la stabilité n'est cependant pas, en soi, une raison de célébrer. La Russie l'a amplement démontré ces dernières années. D'autant plus que « voir les choses en grand », pour le président turc, semble vouloir dire la même chose que pour Vladimir Poutine : n'en faire qu'à sa tête et museler ceux qui ne pensent pas comme lui.

Sous Erdogan, la société turque devient lentement mais sûrement moins libre. La démocratie s'effrite. La liberté de la presse, entre autres, est en grand danger. 

Les médias qui critiquent le pouvoir sont punis. Avant le plus récent scrutin, deux réseaux de télévision ont même été mis sous tutelle.

La stabilité offerte par Erdogan n'est pas non plus une bénédiction pour le reste du monde. La Turquie, dans sa lutte contre le groupe État islamique, joue double jeu. Elle s'en prend à la fois aux djihadistes et aux Kurdes.

Plus largement, ceux qui croient encore qu'islam peut rimer avec démocratie sont aussi perdants. Dire qu'il n'y a pas si longtemps, la Turquie était citée en exemple en la matière...

Erdogan a de quoi être rassuré par sa victoire. Il devrait donc se rapprocher de l'Europe plutôt que de continuer à s'inspirer de Poutine.

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