La ministre de la Condition féminine Martine Biron veut renforcer le droit à l’avortement des Québécoises. Elle se dit inquiète quand elle observe le recul de ce droit aux États-Unis. Les conservateurs de Pierre Poilievre lui donnent une raison supplémentaire de s’inquiéter.

Si des femmes en doutaient, elles en ont eu une preuve supplémentaire cette semaine : le droit à l’avortement ne sera jamais acquis, même au Canada, un pays souvent cité en exemple depuis l’arrêt Morgentaler qui l’a décriminalisé en 1988. Quatre décisions de la Cour suprême sont venues renforcer ce droit des Canadiennes, mais cela n’empêche pas certains députés du Parti conservateur de chercher sans cesse à ouvrir une brèche.

L’hiver dernier, une députée de la Saskatchewan, Cathay Wagantall, présentait le projet de loi d’initiative parlementaire C-311 qui propose d’amender le Code criminel. L’objectif ? Faire d’une attaque contre une femme enceinte un facteur aggravant lors de la détermination de la peine. Les députés en ont débattu cette semaine à la Chambre des communes.

Les conservateurs de Pierre Poilievre – qui se dit pro-choix – assurent que leur intention n’est pas de remettre en question le droit des femmes à interrompre une grossesse, mais personne n’est dupe : ce projet de loi est un premier pas vers la reconnaissance des droits d’un embryon ou d’un fœtus.

Ce n’est pas la première tentative de cette députée ouvertement antiavortement : en juin 2021, Mme Wagantall avait déposé le projet de loi d’initiative parlementaire C-233 sur les avortements en fonction du sexe. Et en 2016, elle déposait un projet de loi qui tentait d’établir une distinction dans le Code criminel entre une femme enceinte et son fœtus, en cas d’agression.

Heureusement que tous les partis voient clair dans le jeu de ces conservateurs : bloquistes, néo-démocrates et libéraux ont dénoncé d’une seule voix cette nouvelle offensive. Et le gouvernement Trudeau a profité de cette semaine marquée par la tenue d’une marche antiavortement à Ottawa pour annoncer un financement visant à renforcer l’accès à l’avortement au Canada.

PHOTO SPENCER COLBY, LA PRESSE CANADIENNE

Début du cortège de la manifestation antiavortement de la « Marche pour la vie », jeudi à Ottawa

Au Québec, la ministre Biron dit qu’elle veut « visser » le droit à l’avortement « dans le mur ». Elle a songé à légiférer. C’est une très mauvaise idée.

Non seulement l’interruption de grossesse est un dossier qui relève du fédéral, mais la majorité des juristes s’entendent pour dire qu’il n’y a aucun flou législatif autour de l’avortement. La professeure de droit de l’Université Laval, Louise Langevin, l’écrivait dans nos pages récemment : « Au Canada, aucune femme ne peut être criminalisée pour avoir obtenu un avortement, peu importe son motif ou le nombre de semaines de grossesse. […] Toute loi fédérale ou provinciale qui limiterait l’accès à l’avortement porterait atteinte à ces droits. »

Un conseil à la ministre Biron : n’ouvrons pas cette boîte de Pandore.

Il y a beaucoup d’autres choses que la ministre peut faire pour envoyer un message fort en faveur du libre choix en matière d’avortement : à commencer par s’assurer qu’aucun groupe ou organisme antiavortement ne reçoive d’argent public de manière directe ou indirecte. Le média Urbania avait découvert l’an dernier que deux députés caquistes finançaient des organismes antiavortement, sans le savoir assuraient-ils, en accordant une subvention à des groupes se présentant comme des centres d’aide et de soutien à la grossesse. Il faut fermer le robinet public pour tous ces groupes, y compris les associations comme les Chevaliers de Colomb, par exemple, qui luttent contre l’avortement.

La ministre doit également s’assurer que les groupes qui diffusent de fausses informations à propos de l’avortement, une pratique courante dans ces centres de grossesse comme le révélait l’enquête de Urbania, soient rappelés à l’ordre.

La ministre devrait également revoir à la hausse le financement des centres de femmes qui pratiquent des avortements ainsi que celui des organismes qui font de l’éducation à la sexualité et à la contraception. Ce sont souvent des organismes à but non lucratif qui tirent le diable par la queue.

Quant à la contraception, il est plus que temps de la rendre gratuite. Trop de femmes font des (mauvais) choix basés sur leurs ressources financières plutôt que sur leur santé. Voilà un bon cheval de bataille pour la ministre de la Condition féminine Biron.

Enfin, Mme Biron devrait s’asseoir avec son collègue de la Santé, Christian Dubé, pour s’assurer que l’avortement et la pilule abortive sont accessibles dans toutes les régions du Québec. À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas.

Martine Biron a raison de vouloir s’opposer à ceux et celles qui tentent de limiter les droits des femmes à interrompre une grossesse. Les femmes ne seront jamais complètement à l’abri d’un recul. Mais la ministre doit choisir les bonnes armes pour le faire.

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