Difficile de dire ce qui est le plus choquant dans l’étude sur la rémunération des dirigeants des entreprises canadiennes publiée cette semaine par le Centre canadien de politiques alternatives.

Est-ce le fait que les 100 PDG les mieux payés des entreprises cotées à la Bourse de Toronto aient bénéficié d’une stupéfiante augmentation de leur rémunération de 31 % entre 2020 et 2021 ?

Ou qu’ils gagnent désormais 243 fois le salaire du Canadien moyen, un indécent fossé qui se creuse sans cesse et bat un nouveau record ?

Ou encore que le palmarès compte 97 hommes… et à peine 3 femmes ?

Ce qui est clair, en tout cas, c’est que ces messieurs profitent de largesses inadmissibles.

Consultez l’étude du Centre canadien de politiques alternatives (en anglais)

Oui, diriger une grande entreprise vient avec de lourdes responsabilités. Non, les candidats qui peuvent occuper ces postes ne courent pas les rues. Il est normal que ces gens soient bien rémunérés.

Sauf que depuis des décennies, on assiste à une escalade qui nous éloigne chaque année de la logique et de la légitimité pour sombrer plus profondément dans l’indécence.

En 1998, le salaire médian des patrons des grandes entreprises inscrites au TSX atteignait 62 fois le salaire moyen des travailleurs du secteur privé. En 2010, l’écart avait plus que doublé pour s’établir à 140 fois.

Depuis ? Ça empire.

Malgré des gains indéniables en matière de transparence, la divulgation obligatoire de la rémunération des dirigeants, instaurée en 1993 au Canada, a conduit à des effets pervers. Les conseils d’administration tiennent tous à offrir plus que la moyenne du marché à leurs dirigeants, observe l’expert Michel Magnan.

Ces conseils établissent donc des comparaisons qui les poussent à hausser la rémunération des patrons. Cela fait grimper la moyenne… incitant tout le monde à en rajouter. Le cercle vicieux roule à fond depuis des décennies.

Comme d’autres, Michel Magnan dénonce le fait que les justifications qui sous-tendent la rémunération accordée aux hauts dirigeants reposent sur des « mythes ».

Parmi ceux-ci : la croyance voulant que le rendement d’une entreprise découle directement de la performance du grand patron. Parlez-en aux pétrolières qui font des affaires d’or depuis la guerre en Ukraine.

Un autre mythe veut que les PDG iront butiner ailleurs si la paie est supérieure. François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), souligne qu’en réalité, la connaissance interne de l’entreprise est un atout qui freine considérablement la mobilité des dirigeants.

Que faire devant ces abus ? La réponse est complexe.

De nombreuses entreprises tiennent des votes sur leur politique de rémunération auprès de leurs actionnaires (ce que les anglophones appellent « say on pay »). Le fédéral a adopté un projet de loi pour rendre la pratique obligatoire, mais il n’a jamais été appliqué. De toute façon, ces votes sont purement consultatifs et servent surtout de caution morale aux dérives.

Dans son étude, le Centre canadien de politiques alternatives propose de combattre les rémunérations excessives par de nouvelles mesures fiscales. Cela aurait toutefois des impacts qui toucheraient beaucoup plus qu’une poignée de dirigeants multimillionnaires. Ces discussions doivent avoir lieu, mais sur une base beaucoup plus large.

Au bout du compte, ce sont les conseils d’administration qui doivent jouer leur rôle et s’assurer que les politiques de rémunération soient équitables et reposent sur des indicateurs adéquats. C’est sur eux qu’on doit mettre de la pression.

Les grands investisseurs comme la Caisse de dépôt, par exemple, devraient utiliser leur poids pour ramener la rémunération des patrons sur terre.

Quant à la faible présence des femmes, il s’agit d’un sujet en soi… sur lequel nous reviendrons dans un autre éditorial.

Les iniquités qui grèvent le monde des affaires minent le sentiment de justice et servent de carburant au cynisme. Ça fait des années qu’on les dénonce. Il est temps d’inverser la tendance.

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  • Un jour et 43 minutes
    C’est le temps de travail qu’il a fallu aux 100 patrons les mieux payés du TSX pour gagner le salaire du Canadien moyen en 2021.
    Source : Centre canadien de politiques alternatives