Le flou entretenu par Justin Trudeau au sujet de l’ingérence alléguée de Pékin dans les élections fédérales en 2019 est aussi incompréhensible qu’irritant.

Depuis qu’il est revenu d’Asie, le premier ministre ressemble à un patineur artistique qui louvoie sur la glace autour des questions qu’on lui pose à ce sujet. Mais c’est tout sauf élégant.

Ce dont les électeurs ont besoin de façon urgente de la part de leur gouvernement, c’est de plus de transparence dans ce dossier.

D’abord, y a-t-il eu, oui ou non, ingérence de la Chine dans le processus électoral canadien il y a trois ans ?

Si oui, comment s’est manifestée cette ingérence ?

Enfin, quel a été son impact ?

Les allégations, faites par le réseau Global, sont sérieuses. Dans la foulée, d’ailleurs, le premier ministre a dit avoir soulevé la question de l’ingérence chinoise avec le président Xi Jinping lors du G20 en Indonésie.

Rappelons ce qui a été avancé :

  • Au moins 11 candidats aux élections de 2019 auraient reçu des fonds de la part de Pékin, tant au Parti libéral qu’au Parti conservateur.
  • Des efforts auraient été menés par la Chine pour implanter des agents du Parti communiste chinois dans des bureaux de députés canadiens « pour influencer les politiques ».
  • D’autres initiatives visaient, dit-on, à « corrompre » d’anciens responsables gouvernementaux du Canada et, à l’inverse, à mener des représailles contre des politiciens perçus par la Chine comme des « menaces pour ses intérêts ».
  • Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aurait informé Justin Trudeau et certains membres de son cabinet de cette ingérence dès janvier dernier.

Mais rien de tout cela n’a été confirmé publiquement.

C’est un comité de la Chambre des communes (le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre) qui va tenter de tirer tout ça au clair au cours des prochaines semaines. Les membres ont entre autres sollicité le témoignage de ministres et cherchent à obtenir divers documents pertinents.

Un autre comité, celui sur les relations sino-canadiennes, pourrait lui aussi se saisir de cette affaire rapidement, à la suite d’une motion du Parti conservateur. Il tiendrait alors des audiences sur la question sous un angle différent, nous dit-on.

Dans les circonstances, ce ne serait pas de trop.

Car on se retrouve devant une énigme entourée de mystère.

Questionnée à ce sujet vendredi dernier lors d’une entrevue éditoriale avec La Presse, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, n’a pas été en mesure de dissiper la brume qui nous empêche d’y voir clair.

Elle dit ne pas avoir de renseignements à offrir sur ces allégations spécifiques et ne pas avoir reçu d’informations du SCRS à ce sujet.

Permettez-nous d’insister : il est urgent de savoir si ces allégations sont fondées. Et, si c’est le cas, de comprendre ce qui s’est produit.

En faire une priorité serait, pour le gouvernement canadien, cohérent avec la stratégie indopacifique qui vient d’être rendue publique par la ministre Joly.

Une stratégie où on dit vouloir coopérer avec la Chine, mais où on fait comprendre qu’on n’hésitera plus à dire à Pékin ses quatre vérités.

Lorsqu’on y traite de la Chine, on écrit notamment que « le Canada continuera de renforcer la défense des infrastructures et de la démocratie au Canada, et la protection des citoyens canadiens contre l’ingérence étrangère ».

En entrevue, Mélanie Joly a fait preuve de fermeté face à Pékin.

Elle a affirmé que « notre objectif dans nos relations avec la Chine va être, bien entendu, de protéger notre intérêt national ». Elle soutient que cela doit se traduire par « le respect de notre souveraineté et le respect, aussi, de notre sécurité nationale ».

Nous étions nombreux, depuis longtemps, à réclamer une telle approche.

Mais comment s’assurer que notre intérêt national sera bien protégé si on a du mal à faire la lumière sur les gestes des puissances étrangères qui auraient pu compromettre l’intégrité de nos élections ?

Et comment s’en assurer, par ailleurs, si on ne parvient pas à faire preuve d’assez de transparence dans des cas d’ingérence ?

Ces doutes, le gouvernement fédéral doit se hâter de les dissiper.

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