Elon Musk sera-t-il le fossoyeur de Twitter, qu’il vient d’acheter pour 44 milliards de dollars américains ?

À court terme, la réponse est non. Les élections de mi-mandat auront lieu la semaine prochaine aux États-Unis, les politiciens et les médias américains ne se priveront certainement pas de cette tribune, même si le climat y est plus malsain que jamais.

Oui, certaines célébrités qui comptent plusieurs millions d’abonnés, comme la productrice-vedette Shonda Rhimes, ont claqué la porte depuis la vente du réseau social à l’homme le plus riche du monde, mais rien pour ébranler les colonnes du temple.

À moyen et long terme, toutefois, Twitter risque de se marginaliser et de devenir un réseau alternatif fréquenté seulement par les radicaux et les complotistes, qui y sont déjà en très grand nombre. C’est une perspective inquiétante qu’il faut empêcher.

Disons-le, la dérive de Twitter n’a pas commencé le jour où le président mégalomane de Tesla s’est porté acquéreur de Twitter pour, a-t-il dit, « le bien-être de l’humanité ».

Non, la dérive de Twitter a commencé bien avant, quelque part durant la campagne à la présidence de Donald Trump.

Depuis, le climat du réseau social s’est sérieusement détérioré. Twitter est devenu un repaire de complotistes, de porteurs de fausses nouvelles et de propos haineux. Un lieu où les gens, sous le couvert de l’anonymat, insultent leur prochain à qui mieux mieux.

Twitter est également devenu un outil de propagande pour des pays comme la Russie et la Chine qui ont poussé des campagnes de désinformation, notamment à propos de l’invasion de l’Ukraine.

On pensait avoir atteint le point de bascule avec l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 et le convoi de la « liberté » à Ottawa, mais le pire est peut-être à venir si on se fie aux évènements des derniers jours.

L’encre était à peine séchée sur le contrat de vente de Twitter qu’on observait déjà une augmentation marquée de propos racistes sur le réseau social. Et dimanche, le propriétaire lui-même, Elon Musk, a relayé une fausse nouvelle concernant le mari de Nancy Pelosi, victime d’un agresseur qui s’est introduit dans la maison familiale à San Francisco.

C’est absolument sidérant.

M. Musk, qui n’en est pas à son premier tweet discutable, l’a retiré depuis, mais le mal était fait.

Rappelons que Twitter n’a pas toujours été cette mare de boue visqueuse où tous les coups sont permis. Le réseau social a déjà été un élément non négligeable de l’écosystème médiatique. Fil de presse, lieu d’échanges auxquels participaient médias, politiciens, influenceurs et citoyens consommateurs d’information, Twitter était un lieu où on pouvait s’informer, commenter et échanger.

Au Québec, Twitter s’est véritablement imposé en 2010 lors du séisme en Haïti alors qu’il est devenu, durant quelques heures, le seul moyen d’obtenir de l’information sur la catastrophe. Cette tragédie a été suivie par le Printemps arabe, en 2011, et notre printemps érable, en 2012, deux mouvements qui se sont déployés sur Twitter, qui est également un rendez-vous lors des soirées électorales ou de grands évènements télévisuels.

Twitter ne redeviendra jamais le réseau social incontournable qu’il a été dans les années 2010, mais deux choses pourraient l’empêcher de sombrer davantage dans la marge et de devenir le point de ralliement de tous les radicaux.

Les lois d’abord.

Vendredi, le commissaire européen Thierry Breton a rappelé sur Twitter qu’en Europe, « l’oiseau volera selon nos règles », une référence à la législation sur les services numériques qui entrera en vigueur en janvier 2024 (l’oiseau étant le logo de Twitter).

Au Canada, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, planche lui aussi sur un projet de loi sur la désinformation et les propos haineux qui viendrait mieux encadrer ce qui se dit sur les réseaux sociaux.

Le vrai salut de Twitter pourrait toutefois venir des publicitaires. Au lendemain de la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, alors que le milliardaire congédiait une partie de la direction de l’entreprise, le constructeur automobile General Motors (GM) annonçait qu’il prenait une pause du réseau social le temps de voir quelle direction prendrait le nouveau propriétaire.

Vrai, GM est un compétiteur. Mais le New York Times rapporte que plusieurs annonceurs pourraient se retirer si Musk n’encadre pas ce qui se dit sur son nouveau réseau, de peur que leur réputation soit entachée.

Si la pression est suffisamment forte, il pourrait y avoir un effet d’entraînement. Or la publicité représente 89 % des revenus générés par Twitter, qui tournaient autour de 5 milliards en 2021.

À la fin, c’est peut-être l’argent qui aura le dernier mot.

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