Quatre ans après la légalisation du pot, l’industrie canadienne crie à l’injustice.

Elle se plaint d’être déficitaire. Déplore qu’on taxe ses produits. Réclame plus de liberté pour faire la promotion de son cannabis. Affirme ne pas avoir les moyens de concurrencer le marché noir.

Il faut en prendre (un peu) et en laisser (beaucoup) avec ce discours.

Au Québec, en particulier, ce qu’on voit depuis quatre ans montre que la légalisation du pot fonctionne. Le modèle est-il parfait ? Non. Le gouvernement Legault a fait preuve de dogmatisme sur certains aspects qui méritent une révision.

Mais rien n’indique qu’il faille partir en peur et céder aux principales demandes des producteurs.

Si l’industrie canadienne du cannabis souffre actuellement, c’est surtout parce que la bulle dans laquelle elle vivait lui a explosé au visage.

Au moment de la légalisation, en 2018, des entreprises comme Tilray, Canopy Growth et Aurora Cannabis avaient chacune des valeurs boursières qui dépassaient les 10 milliards de dollars. C’est plus qu’Air Canada !

Comme prévu, ces valorisations intenables se sont effondrées. Aujourd’hui, encore gonflée par ses projections irréalistes, l’industrie est en surcapacité de production. Mais c’est son problème, pas celui des gouvernements. Le marché s’ajustera.

Ce qui doit nous préoccuper, ce sont les consommateurs. Or, ceux-ci ont désormais accès à des produits standardisés, exempts de pesticides et de moisissures, aux concentrations connues. C’est un monde de différence avec ce qui est offert par les revendeurs dans la rue ou sur le web.

Les profits récoltés, au lieu d’aller dans les poches du crime organisé, servent à la prévention et à la recherche sur le cannabis. Encore ici, il s’agit d’une énorme avancée.

L’une des grandes inquiétudes avec la légalisation était la banalisation du produit et la hausse de la consommation. Il faut rester vigilant, mais les chiffres sont plutôt rassurants. Ils montrent une certaine hausse de la consommation chez les adultes québécois, mais une baisse chez les 15-17 ans.

Là où l’industrie a des arguments, c’est lorsqu’elle évoque la place du marché noir. La Société québécoise du cannabis (SQDC) estime aujourd’hui occuper 58 % du marché du cannabis. Ce n’est pas rien, mais c’est inférieur aux prévisions. Le plan stratégique déposé en 2019 prévoyait atteindre 66 % cette année et 75 % l’an prochain.

Est-ce une raison pour sabrer les taxes sur le cannabis et laisser l’industrie faire de la publicité comme elle le demande ? Surtout pas. La prudence et la protection des consommateurs doivent continuer de primer sur les impératifs commerciaux.

De la promotion de la part de producteurs légaux semble d’ailleurs déjà se faire sur les réseaux sociaux et par l’entremise des influenceurs. L’Institut national de santé publique du Québec se penche sur le sujet et c’est tant mieux. Il faudra peut-être serrer la vis — pas le contraire.

Cela dit, il existe des façons de couper l’herbe sous le pied du marché noir. La plus simple serait de revenir sur la décision malavisée du gouvernement Legault de fixer l’âge légal pour le cannabis à 21 ans. Les 18-21 sont de gros consommateurs de pot, 35 % d’entre eux ayant déjà consommé au cours des 12 derniers mois.

Pour l’instant, ces gens sont poussés vers le marché illégal. Ils y trouvent des produits de qualité incertaine, se frottent à des revendeurs qui les poussent vers d’autres drogues et développent la mauvaise habitude de s’approvisionner sur le marché noir.

Nous avons aussi déjà plaidé pour une plus grande offre de produits comestibles à la SQDC. La ligne est mince entre répondre aux demandes des consommateurs et stimuler cette demande, mais les betteraves et choux-fleurs infusés au pot de la SQDC ne font clairement pas le poids devant les chocolats fins et autres jujubes cosmiques offerts autant sur le marché noir que dans les autres provinces.

N’écoutons pas le discours apocalyptique de l’industrie et de certains politiciens. La légalisation du cannabis est un succès, pas un échec. Il reste simplement à affiner le modèle.

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