À quoi bon faire un cadre financier si on se permet de tricher pour financer ses promesses électorales ?

Premier truc déloyal utilisé par certains partis pour embellir leur cadre financier : gonfler les prévisions de croissance économique.

Cette fois-ci, on a trois partis qui ont décidé de ne pas jouer avec les mêmes règles en matière de prévisions économiques : la Coalition avenir Québec, le Parti conservateur du Québec et le Parti québécois.

La CAQ et les conservateurs transgressent sans gêne l’esprit de l’exercice : ils estiment que leur programme augmentera la croissance économique, ajustent les revenus de l’État en conséquence, et financent ainsi une partie de leurs promesses électorales.

Tous les partis connaissent les règles fortement recommandées par l’Association des économistes québécois et la Chaire en fiscalité et en finances publiques. Dans son rapport préélectoral, le ministère des Finances met à jour les prévisions de croissance économique pour les quatre prochaines années. Il se base en grande partie sur la moyenne des prévisions des économistes du secteur privé. En principe, les partis doivent partir de ces prévisions pour établir leur cadre financier et chiffrer leurs engagements. Par prudence et par souci d’équité, on leur demande de ne pas modifier la croissance économique prévue.

Les conservateurs et la CAQ ont tout de même décidé de gonfler leurs prévisions de croissance.

Les conservateurs croient que la déréglementation qu’ils proposent hausserait la croissance de 0,5 % par an pour les deux premières années, et de 1,0 % par an pour les deux années suivantes. Dans cet univers parallèle, on passerait d’une croissance prévue de 1,5 % à 2,5 % de 2025 à 2027. Ce n’est pas sérieux, mais ça permet au PCQ d’ajouter des revenus supplémentaires de 4,05 milliards en 2026-2027 et de financer 40 % de ses promesses cette année-là.

La CAQ a décidé que ses engagements allaient engendrer une croissance économique supplémentaire de 0,5 % par an de 2024 à 2027. La croissance passerait de 1,5 % à 2,0 % par an. Ça équivaut à des revenus supplémentaires de 1,677 milliard en 2026-2027. La CAQ finance ainsi 29 % de ses engagements électoraux durant la dernière année du mandat.

Les conservateurs et la CAQ se donnent ainsi un avantage considérable (et injustifié) sur des partis qui – comme Québec solidaire et le Parti libéral du Québec – n’augmentent pas la croissance économique dans leur cadre financier.

Inventer de la croissance discrédite un cadre financier. Un parti aspirant à diriger le Québec ne devrait pas financer ses promesses avec des revenus aussi incertains.

La CAQ prétend que certains de ses engagements électoraux (5G, infrastructures d’hydroélectricité et d’éolien, baisses d’impôt) généreront de la croissance additionnelle. Peut-être. C’est notamment vrai pour les baisses d’impôt et les investissements en infrastructures (même si l’effet des baisses d’impôt est plus important en récession qu’en période inflationniste). Mais les engagements des autres partis le feraient aussi, et tout le monde ne triche pas pour autant.

De son côté, le PQ a trouvé une façon originale d’étirer l’élastique de son cadre financier, en tablant sur des bénéfices irréalistes découlant de son plan pour garder des travailleurs plus âgés sur le marché du travail.

Le PQ est beaucoup trop optimiste dans ses calculs. Sa promesse d’exempter une partie de l’impôt pour les travailleurs de 60 ans et plus coûterait 1,6 milliard et générerait des revenus de 2,7 milliards en 2026-2027 en raison notamment de la croissance économique supplémentaire qui en découlerait, selon le PQ. Autrement dit, il s’agit d’un allégement fiscal qui rapporterait plus d’argent qu’il n’en coûterait aux coffres de l’État. Si c’est trop beau pour être vrai, c’est généralement parce que… c’est trop beau pour être vrai.

À partir des chiffres d’une étude de HEC Montréal et de l’ESG UQAM (dont le PQ s’est inspiré pour une partie de ses calculs), on peut raisonnablement conclure qu’un scénario « ambitieux » pour hausser le taux d’emploi des 60-69 ans générerait quelque part entre 350 et 700 millions en revenus en 2026-2027. On est loin de 2,7 milliards.

Or, cette entrée de fonds de 2,7 milliards n’est pas banale : elle permet de financer 40 % des engagements électoraux du PQ cette année-là.

Autre façon un peu injuste pour les adversaires de financer leurs promesses électorales : puiser dans la réserve pour risques économiques de 2 milliards par an. En 2026-2027, les conservateurs et Québec solidaire n’y touchent pas, la CAQ prend 1 milliard, tandis que le PQ et le PLQ prennent la totalité des 2 milliards.

(Dans un autre registre, le PLQ a aussi fait une erreur de 12 milliards dans le calcul de sa dette. Notre collègue Francis Vailles s’en est aperçu, et le PLQ a corrigé cette erreur dans la dernière version de son cadre financier.)

Le verdict est étonnant mais clair : Québec solidaire est le seul des cinq partis à avoir respecté toutes les règles comptables dans son cadre financier. Et surtout, le seul parti à avoir financé toutes ses promesses en 2026-2027 sans devoir procéder à un tour de magie comptable.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion