Comme un boomerang dont on croyait s’être débarrassé, le débat entourant le mégaprojet GNL Québec revient traverser la campagne électorale.

Éric Duhaime est en faveur de la construction de ce complexe de liquéfaction de gaz naturel au Saguenay. Le chef conservateur veut même en faire la fameuse « question de l’urne ».

François Legault nie vouloir relancer le projet. Mais Radio-Canada a révélé que son ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en discute dans les coulisses1. Le ministre des Finances, Eric Girard, a aussi donné une entrevue cet été laissant entendre que le projet pourrait être reconsidéré à certaines conditions2.

Que ce dossier revienne dans l’actualité n’a rien d’étonnant. Depuis que Québec a fermé la porte à GNL Québec, il y a un peu plus d’un an, la situation géopolitique mondiale a complètement changé.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé les approvisionnements de gaz naturel en Europe, et pas qu’un peu. Le pays de Vladimir Poutine fournissait 40 % du gaz consommé sur le continent. C’est donc 155 milliards de mètres cubes de gaz dont seront annuellement privés les Européens. C’est énorme.

Des experts préviennent que la pénurie et les prix élevés de l’énergie en Europe pourraient grever les budgets des ménages, faire fermer des usines et affaiblir les finances publiques pendant des années. L’Allemagne, moteur industriel de l’Europe, est particulièrement touchée.

Devant cette situation très sérieuse, le Canada et le Québec ont le devoir de se demander ce qu’ils peuvent faire pour aider l’Europe.

Cela inclut de jeter un regard neuf sur GNL Québec, à la lumière du nouveau contexte.

Attention. Ça ne veut surtout pas dire d’autoriser le projet dans l’urgence. Notre équipe éditoriale s’est déjà prononcée contre GNL Québec et pourrait très bien rester sur cette position à l’issue d’une autre évaluation.

Mais les enjeux sont complexes et ne s’analysent pas sur un coin de table. En réaction à la crise du gaz, des pays européens ont recommencé à brûler du charbon, une énergie beaucoup plus polluante que le gaz naturel. Et ils cherchent à s’approvisionner chez des producteurs de gaz dont les usines de liquéfaction ne fonctionnent pas à l’hydroélectricité. Le gaz naturel de GNL Québec pourrait-il remplacer durablement des sources d’énergie plus polluantes ?

Il y a 18 mois, le BAPE avait tranché que ce n’était pas le cas. Il n’y a aucune hérésie à s’assurer que cette conclusion — ainsi que les autres de son rapport — reste valide dans le marché en pleine réorganisation d’aujourd’hui.

Avant toute chose, les promoteurs de GNL Québec devront démontrer que des investisseurs croient au projet et que des clients sont prêts à se commettre à long terme pour acheter du gaz qui partirait du Saguenay.

C’est loin d’être évident. GNL Québec n’exporterait pas une goutte de gaz avant au mieux quatre ou cinq ans. Les Européens, activement engagés à réduire leur consommation de gaz et à trouver d’autres sources d’énergie, auront-ils réglé leurs problèmes d’ici là ? Les analystes ne s’entendent pas sur la durée des bouleversements.

Si clients et investisseurs sont bel et bien au rendez-vous pour GNL Québec, on peut imaginer un scénario où le projet serait resoumis au BAPE.

Tous les écueils relevés dans le dernier rapport devraient alors être réexaminés. La guerre et ses impacts pourraient-ils modifier l’opinion publique et amener une acceptabilité sociale ? Ce n’est pas impossible.

La question de la perturbation de l’habitat du béluga reste entière. Mais c’est vraiment celle des émissions de GES à long terme qui serait déterminante.

Le GIEC nous prévient du danger d’ériger de nouvelles installations de carburants fossiles qui fonctionneraient pendant des décennies et viendraient « verrouiller » les émissions.

Cet argument est crucial. La seule façon de le contourner serait de montrer que GNL Québec réduirait bel et bien les émissions mondiales sur l’ensemble de sa durée de vie.

La barre est donc haute. Mais le monde a changé et une éventuelle nouvelle mouture du projet mériterait d’être réexaminée du même œil critique que la précédente.

En attendant, il y a autre chose que le Canada peut faire pour l’Europe. Yvan Cliche, chercheur en énergie au CERIUM, rappelle que les projets de liquéfaction du gaz naturel sont plus avancés en Colombie-Britannique que dans l’est du pays. En accélérant ces initiatives, le Canada pourrait exporter du gaz naturel vers l’Asie, allégeant les pressions mondiales et aidant indirectement l’Europe.

L’hydrogène serait une autre façon de porter secours au Vieux Continent. Mais encore là, les infrastructures d’exportation sont à construire. La transformation de l’électricité en hydrogène et le transport de ce dernier entraînent aussi des pertes colossales.

Aider nos alliés européens ne sera donc pas facile pour le Canada. Cela n’empêche pas qu’on retourne toutes les pierres pour essayer de le faire. Après tout, c’est de résister à Vladimir Poutine qu’il est question ici.

1. Lisez l’article de Radio-Canada 2. Écoutez l’entrevue d’Eric Girard au 98,5 FM Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion