Pour un gouvernement qui dit se soucier des finances publiques et du trafic entre Québec et Lévis, le gouvernement Legault fait des calculs très bizarres.

D’un côté, il veut dépenser 6,5 milliards pour un troisième lien qui a une rentabilité anémique en matière de transports.

De l’autre, il refuse de payer 2,7 millions par année de plus pour assurer la pérennité du deuxième lien – le pont de Québec – pendant des décennies.

La situation est surréaliste.

Dans le dossier du pont de Québec, au lieu de prendre la meilleure décision pour les gens de Québec, la CAQ préfère casser du sucre sur le dos d’Ottawa.

« L’entente [proposée par Ottawa] n’est pas bonne. On ne va pas accepter ça », a dit cette semaine l’un des ministres du gouvernement Legault, Jonatan Julien.

Voici cette « mauvaise entente » : Québec paierait à peu près le montant qu’il aurait payé au propriétaire actuel (le CN), Ottawa ajouterait 285 millions, et les gens de Québec auraient un pont rénové pouvant durer des décennies.

Ottawa estime à 785 millions le coût des travaux nécessaires pour assurer la pérennité du pont. Sa dernière offre : Québec paierait 375 millions en loyer, le CN, 125 millions en loyer et Ottawa, 285 millions comme propriétaire1. C’est une proposition raisonnable. À moins que l’objectif inavoué du gouvernement Legault soit de : a) se chicaner coûte que coûte avec Ottawa, b) se fabriquer un argument supplémentaire pour justifier le troisième lien, c) a et b.

Ça fait 15 ans qu’on tente à Québec de trouver une solution pour assurer la pérennité du pont de Québec, propriété de l’entreprise ferroviaire CN depuis 1993. (De 1917 à 1993, Ottawa était propriétaire du pont.)

À très long terme, le CN ne veut pas vraiment du pont en raison des importants travaux à faire. Il veut le céder pour moins qu’une chanson.

Le gouvernement du Québec, principal utilisateur depuis 1949, ne veut pas devenir propriétaire du pont. (En 1949, Québec avait demandé à Ottawa d’adapter une partie du pont pour les autos, et a payé chaque année pour louer le pont. Il le loue encore aujourd’hui pour que les autos puissent passer.)

Il n’y avait pas d’acheteur potentiellement intéressé… jusqu’à ce que les libéraux de Justin Trudeau promettent de régler le dossier du pont de Québec en 2015. Même si le fédéral a vendu presque tous ses ponts en 1993 (il a gardé des ponts importants au Québec) et qu’il n’en rachète plus depuis.

Sept ans plus tard, Ottawa est sur le point de faire la transaction avec le CN pour acheter le pont de Québec. Sauf que ça achoppe parce que Québec et Ottawa ne s’entendent pas sur la répartition des coûts des travaux à effectuer, après deux ans à discuter.

En 2012, Québec signe un nouveau bail avec le CN renouvelable tous les 10 ans pour utiliser le pont de Québec. Le CN et Québec paient les travaux selon leur proportion d’utilisation du pont. Cette année, Québec a payé sept millions en loyer au CN.

L’an prochain, selon nos informations, le loyer de Québec devrait normalement être de neuf millions par an.

Pour racheter le pont, Ottawa pose une condition : ses deux seuls utilisateurs, Québec et le CN, doivent payer un loyer pour au moins 25 ans.

Ottawa demande à Québec un loyer de – tenez-vous bien – 11,7 millions par année (ce montant sera indexé au fil des ans). Soit environ 2,7 millions de plus qu’actuellement.

Mais voilà, Québec refuse de négocier avec le fédéral… tant qu’il n’achètera pas le pont.

Le fédéral n’est pas fou. Il veut régler tout de suite le loyer à long terme, pas se chicaner avec Québec tous les 10 ans. Il ne veut surtout pas prendre le risque que Québec cesse de lui payer un loyer après 10 ans (ce serait possible en vertu du bail actuel). En sachant très bien que le fédéral n’oserait jamais fermer le pont et serait pris pour assumer seul tous les coûts.

Et non, Ottawa n’a pas l’intention de faire de ce loyer un précédent pour les autres ponts fédéraux. Québec paierait uniquement un loyer pour le pont de Québec, comme il le fait depuis 1949.

Bref, si Ottawa n’était pas dans le décor, Québec paierait neuf millions par année au CN pour que les autos circulent sur un pont sans garantie de pérennité à très long terme. Avec Ottawa dans le décor, Québec ne veut pas payer 11,7 millions par année pour un pont rénové qui pourrait durer, avec un peu de chance, 60 ans de plus.

Comme preuve de sa mauvaise foi dans ce dossier, le gouvernement Legault peut difficilement faire mieux.

Le mois dernier, en parlant de son troisième lien, le premier ministre François Legault parlait d’un « lien de remplacement », une référence aux deux ponts qui vieillissent.

Que le gouvernement Legault saborde consciemment le rachat du deuxième lien par Ottawa – pour des motifs politiques, pour mousser son troisième lien, ou parce qu’il ne sait plus compter –, c’est un coup en bas de la ceinture.

Québec ne veut pas acheter le pont. Parfait. Mais qu’il cesse de mettre des bâtons dans les roues d’Ottawa. Et qu’on trouve une solution à long terme une fois pour toutes.

1 : Québec paierait aussi 200 millions pour refaire le « tablier », soit la partie du pont sous l’asphalte pour la circulation des autos. Québec paiera ces 200 millions si le CN reste propriétaire.

En chiffres

Pont de Québec

Affluence en 2019 : 33 000 passages par jour

Coût projeté des travaux par Ottawa : 785 millions

Pont Pierre-Laporte à Québec

Affluence en 2019 : 126 000 passages par jour

Projet de troisième lien à Québec

Affluence projetée en 2032 : 55 000 passages par jour

Coût projeté par Québec : 6,5 milliards

Coût projeté par tranche de 10 000 passages par jour : 1,18 milliard

Pont Samuel-De Champlain à Montréal

Inauguré en 2019

Affluence : 136 000 passages par jour

Coût : 4,24 milliards

Coût par tranche de 10 000 passages par jour : 312 millions

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