« L’oubli mène à l’indifférence. Le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais l’indifférence. Le contraire de la vie n’est pas la mort, c’est l’indifférence. »

Devant l’auditoire réuni au stade de Maskwacis, lundi, près de l’ancien pensionnat d’Ermineskin, en Alberta, le pape François a prononcé des mots importants, attendus de longue date par ceux, parmi les Autochtones, qui ont souhaité sa visite. Mais ces mots résonnent bien au-delà du christianisme et s’adressent à un auditoire beaucoup, beaucoup plus large que celui qui était rassemblé devant lui.

Le pape a répondu à l’invitation de la délégation venue le rencontrer au Vatican en mai. Il vient visiter les Autochtones chez eux, sur leurs terres. Pendant ce temps, les non-Autochtones et les non-catholiques pourraient être tentés de regarder ailleurs, puisqu’ils ne sont pas directement concernés par cette visite.

Mais ce serait une erreur d’être indifférent. Nous sommes tous concernés par cette visite.

La visite du pape est une réponse à la recommandation 58 formulée dans le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation. Lors de sa publication en 2015, les commissaires demandaient que des excuses soient formulées par le chef de l’Église catholique romaine et qu’elles soient présentées par le pape au Canada, dans un délai d’un an suivant la publication du rapport.

Cette réponse a tardé à faire son chemin, et ce n’est pas qu’en raison de la pandémie…

En mai 2017, lors d’une visite au Vatican, le premier ministre Justin Trudeau avait officiellement demandé au pape de fournir des excuses. Une demande qui sera officiellement refusée en mars 2018. Les pressions ont continué à s’exercer, surtout auprès des représentants catholiques au Canada – selon le protocole pontifical, ce sont les évêques eux-mêmes qui doivent inviter le pape au pays. Or, ce n’est qu’en septembre dernier, après avoir longtemps rechigné à le faire, que la Conférence des évêques catholiques du Canada a finalement présenté ses excuses aux Premières Nations pour les abus commis dans les pensionnats pour Autochtones.

Pendant tout ce temps, l’attitude des Canadiens envers les souffrances infligées aux Autochtones a, elle aussi, fait du chemin.

Trop d’entre nous étaient indifférents ou ignorants quant à ce qui s’est passé dans les pensionnats pour Autochtones jusque dans les années 1970-1980. La Commission a contribué à notre éveil collectif, et la découverte des tombes de 215 enfants sur les lieux du pensionnat de Kamloops, en 2021, a été reçue avec stupeur et indignation.

L’indifférence doit être combattue, a dit le pape en substance. Dans ses excuses formulées lundi, il a étendu la faute des catholiques directement responsables d’abus aux « nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses » qui ont « coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque ».

Le pape a employé des mots durs qui balaient l’ambiguïté derrière laquelle trop de personnes dans ce pays se réfugient encore. La rencontre entre peuples autochtones et colons européens aurait dû être fructueuse, a-t-il dit, mais dans la majorité des cas, « ça ne s’est pas produit ». Et même s’il régnait des exemples de dévouement et de « charité chrétienne » dans certains pensionnats, les politiques d’assimilation dans lesquelles ils s’inscrivaient ont eu des conséquences « catastrophiques » sur les peuples autochtones.

Des paroles que les non-Autochtones se doivent d’entendre. S’ils ne sont pas individuellement responsables des actes commis par le gouvernement fédéral et les communautés religieuses de l’époque, ils ont le devoir d’assumer cette part sombre de l’histoire de ce pays.

Et maintenant ? Le pape est attendu à partir de mercredi au Québec, où là aussi, on souhaite l’entendre présenter ses excuses.

Et ensuite, le dialogue devra se poursuivre. Notamment sur les mots que le pape n’a pas (encore ?) prononcés. Il n’a pas, par exemple, qualifié toute l’entreprise d’assimilation dans laquelle s’inscrivaient les pensionnats de « génocide culturel », selon les mots employés par les commissaires. Il a mentionné le besoin de « réparation », l’importance d’une « enquête » pour continuer de faire la lumière sur ce passé, mais n’a pas parlé de dédommagement financier. Il n’a pas non plus évoqué la restitution d’objets ou de documents autochtones conservés au Vatican.

Tous ne marchent pas au même rythme sur ce chemin de la guérison. Mais comme un brouillard, l’indifférence nous empêchait de voir toute la route à parcourir ensemble. Sa levée nous permettra de franchir les prochaines étapes vers la réconciliation.

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