Le gouvernement du Québec devrait-il prendre une partie de l’argent du logement social à Montréal – de l’argent pour les plus démunis – afin de construire des logements abordables pour la classe moyenne ailleurs au Québec ?

Une telle décision n’a aucun sens sur le plan de la justice sociale.

C’est pourtant ce que la CAQ est en train de faire.

Résumons. Depuis 1997, Québec finance les projets de logements sociaux et abordables avec le programme AccèsLogis. Québec finance 50 % de la facture d’un projet, les villes au moins 15 %, et le reste du capital provient d’une hypothèque sur les loyers futurs.

Traditionnellement, Québec réservait entre 35 % et 40 % des unités d’AccèsLogis à l’île de Montréal. Normal : Montréal abrite 36 % des familles à faible revenu au Québec. En 2018, le gouvernement Couillard avait conclu une entente garantissant entre 36 % et 40 % des sommes d’AccèsLogis à la Ville de Montréal.

Or, en février dernier, le gouvernement Legault a créé un concurrent à AccèsLogis : le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ). Il fonctionne par appel d’offres, ce qui ne donne pas de prévisibilité à long terme (tout est à refaire chaque année). Il ouvre la porte aux promoteurs privés. Et il ne prévoit aucune somme minimale pour Montréal. Lors du premier appel d’offres en juin, Montréal n’a récolté que 25 % des unités (grosso modo sa proportion de la population québécoise) pour 2022-2023.

Deuxième aspect franchement fâchant du PHAQ : Québec va probablement financer moins de logement social pour les plus démunis afin de financer davantage du logement abordable pour la première moitié de la classe moyenne.

Un projet d’AccèsLogis doit avoir 50 % d’unités de logement social pour les plus démunis (moins de 33 500 $ de revenus par an pour une personne ou un couple à Montréal ; moins de 23 000 $ à Saguenay ; ça varie selon les villes). Ceux-ci reçoivent une aide de Québec pour payer une partie du loyer. Les autres 50 % des unités sont du logement abordable (pas d’aide au loyer) réservé au début de la classe moyenne (revenu de moins de 53 200 $ par an pour une personne, moins de 75 236 $ par an pour un couple).

Contrairement à AccèsLogis, le PHAQ ne prévoit pas un pourcentage minimal d’unités pour les plus démunis qui reçoivent une aide de l’État pour leur loyer. Certains des locataires des projets du PHAQ seront des ménages à faible revenu. 10 % des locataires ? 50 % des locataires comme AccèsLogis ? Québec ne le sait pas, car ça dépend des projets soumis. Ce n’est pas sérieux comme plan.

Québec reconnaît que le PHAQ est « d’abord et avant tout » un programme de logements abordables, et non des logements sociaux pour les plus démunis.

C’est très bien de faire davantage de logement abordable pour la classe moyenne. Il y a là des besoins énormes et importants. À condition de ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. De ne pas le faire avec l’argent traditionnellement consacré aux plus démunis.

Officiellement, la ministre de l’Habitation Andrée Laforest dit ne pas vouloir mettre fin à AccèsLogis. Elle joue sur les mots. En pratique, quiconque a un nouveau projet de logement social/abordable n’a qu’une seule option pour le financer à Québec : le PHAQ.

Depuis quatre ans, Québec a octroyé 70 millions de dollars pour 500 nouvelles unités d’AccèsLogis. Pour le PHAQ, Québec vient d'attribuer 300 millions pour 1723 unités seulement pour 2022-2023. Sans compter 350 millions sur trois ans pour un projet de 2000 unités avec les critères du PHAQ, en collaboration avec Desjardins et le Fonds de solidarité FTQ. Le message de Québec est clair : à l’avenir, ce sera le PHAQ.

Il est donc crucial que le PHAQ ne soit pas moins généreux qu’AccèsLogis avec les locataires les plus démunis.

Mais ce n’est pas tout.

À son arrivée en 2018, le gouvernement Legault a hérité d’un gros problème avec AccèsLogis : 15 000 unités étaient « sur la liste d’attente ». Elles étaient financées en théorie à Québec mais bloquées en pratique parce qu’il manquait de financement sur l’ensemble du projet. Comment est-ce possible ? En 2009, Québec a eu la mauvaise idée de ne plus indexer les coûts de construction d’AccèsLogis. Dans la vraie vie, les coûts de construction ont augmenté. Résultat : au lieu de financer 50 % des projets, Québec n’en finance plus que 34 %, les villes n’ont pas été capables de combler l’écart, et les projets approuvés (mais sous-financés) se sont retrouvés bloqués. L’argent dormait donc dans les coffres à Québec…

Depuis quatre ans, Québec a ajouté 227 millions par an pour faire « débloquer » 8100 des 15 000 unités sur la liste d’attente. C’était la bonne chose à faire. Mais encore ici, Montréal n’a pas reçu sa juste part, obtenant à peine 25 % de l’enveloppe. Québec a été encore plus chiche cette année, en lui octroyant à peine 11 % de la cagnotte. En 2018, 44 % des projets sur la liste d’attente au Québec étaient pourtant dans la métropole.

Beaucoup d’intervenants craignent que le gouvernement Legault mette fin à AccèsLogis une fois qu’on aura terminé les 7000 derniers projets sur la liste d’attente. Quand on demande si Québec financera à nouveau de nouvelles unités d’AccèsLogis, la ministre Laforest évite soigneusement de répondre. Un silence qui en dit long…

AccèsLogis n’est pas un programme parfait. Certaines normes retardaient la réalisation de projets. Mais quand il était financé adéquatement dans les années 2000, on construisait plus de 1900 unités par an (entre 2005 et 2012). C’est davantage que la première année du PHAQ.

Peu importe la forme que l’aide de Québec prendra à l’avenir, il faut s’assurer que les plus démunis et que Montréal auront toujours leur part.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion
En savoir plus
  • 15,5 %
    Taux de familles à faible revenu à Montréal. Les trois régions administratives avec le plus important taux de familles à faible revenu sont le Nord-du-Québec (18,4 %), Montréal (15,5 %) et la Mauricie (8,9 %).
    Source : Institut de la statistique du Québec
  • 9,3 %
    Taux de familles à faible revenu au Québec (incluant Montréal)
    Source : Institut de la statistique du Québec
  • 54 %
    Pourcentage des personnes en attente d’un HLM qui vivent à Montréal. Sur les 37 000 Québécois admissibles à un HLM qui sont sur la liste d’attente de Québec, il y a 20 000 Montréalais et 17 000 personnes ailleurs au Québec.
    Sources : La Presse et Office municipal d’habitation de Montréal