En moyenne, un Allemand passe plus de 10 minutes sous l’eau chaude de la douche.

C’est beaucoup trop, a dit leur ministre fédéral de l’Économie, Robert Habeck.

Cinq minutes, c’est bien suffisant.

Son opposant politique, Wolfgang Kubicki, est même allé plus loin : trois minutes top chrono… en eau froide !

C’est le genre de questions que se posent les Allemands ces jours-ci. Tout ce qui touche la consommation d’énergie les obsède. Même si le mercure oscille autour de 30 degrés, ils frissonnent déjà en pensant à ce qui les attend cet hiver.

Et dans ce contexte, l’exception aux sanctions contre la Russie à laquelle a dû consentir le Canada pour permettre à la société russe Gazprom de récupérer des turbines nécessaires à l’alimentation en gaz naturel n’est pas leur plus grand souci.

Dans la nuit de dimanche à lundi, le combustible a cessé de circuler dans le gazoduc Nord Stream 1, qui relie la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique. Les citoyens ne subissent pas de coupure d’alimentation pour autant — les réserves accumulées peuvent répondre à la demande en ce moment de l’année où elle est la plus faible.

Cette interruption était prévue. Elle a lieu tous les ans, à la même période, pour permettre des travaux de maintenance des installations de Gazprom, qui fournit 30 % des besoins de l’Allemagne en gaz naturel. Habituellement, cet « évènement », rappelait lundi le journal allemand Die Zeit, est « à peu près aussi excitant » que la mise au point annuelle de votre véhicule.

Cette année, c’est différent. Les Allemands veulent tout savoir de la procédure. Habituellement, cette opération prend environ de 11 à 14 jours.

Mais cette fois… on craint que le robinet ne rouvre pas à la fin de la période de maintenance.

Et s’il ne rouvre pas, le niveau des réservoirs du pays risque de ne pas atteindre les 90 % requis en novembre pour assurer l’approvisionnement pendant l’hiver. En ce moment, ils sont remplis à 63 %. Si l’Allemagne n’est pas en manque d’essence, de pétrole ou d’électricité, le temps commence à presser pour s’assurer qu’il y aura assez de gaz.

Ces derniers jours, le ministre Habeck ne s’est pas fait d’illusion : le manque de gaz menace la cohésion sociale de son pays.

Le niveau d’alerte est déjà passé au niveau 2 sur 3. Une coche de plus et le gouvernement devra intervenir pour distribuer le gaz en ordre de priorité. Les prix augmentent à un rythme qui n’est pas soutenable pour beaucoup de familles allemandes. Le gouvernement recommande aux entreprises de s’équiper de génératrices d’urgence pour pallier toute interruption. Un grand groupe industriel a comparé la fin de l’approvisionnement en gaz à un « arrêt cardiaque pour l’économie ».

La Russie se priverait-elle de vendre son gaz à l’Allemagne ? Oui, c’est possible. Les ventes de gaz en Europe représentent une source de revenus importante pour la Russie, mais moins que le pétrole. De plus, comme l’a dit le président de Gazprom lui-même, toute diminution du nombre de mètres cubes livrés en Europe en ce moment est compensée par des prix de vente très avantageux.

La Russie a le beau jeu. L’Allemagne a beaucoup plus besoin du gaz russe que la Russie a besoin des roubles versés par son client allemand.

Sa stratégie est justement de fissurer l’alliance occidentale, une main sur la poignée du robinet.

C’est exactement le cas avec les fameuses turbines du gazoduc Nord Stream 1 qui étaient coincées à Montréal. La multinationale allemande Siemens Energy les avait fait réparer dans ses locaux canadiens. Mais le renvoi en Russie de cet équipement était bloqué en raison des sanctions économiques contre Moscou.

Ces dernières semaines, Gazprom a déclaré que le gazoduc ne pourra être pleinement opérationnel sans ces turbines. Et pour appuyer ses prétentions, la société a réduit de 60 % le débit du gazoduc.

Le gouvernement d’Olaf Scholz a qualifié cette explication de « faux-semblant », mais a plaidé pour le rapatriement des turbines. L’Allemagne a estimé qu’il valait mieux ne pas donner un prétexte de plus à la Russie pour mettre davantage en péril la sécurité énergétique du pays.

Chantage ? Fort probablement. Mais l’Allemagne, qui compte se sevrer du gaz russe, n’est pas encore prête à s’en passer complètement. Dans les circonstances, et malgré les appels à la solidarité avec l’Ukraine, le Canada n’avait guère le choix que de se ranger du côté de son allié.

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