Qui a été accusé dans le cadre du procès secret ?

Vous ne connaîtrez jamais son identité.

Et c’est très bien ainsi.

« Personne désignée » est un informateur (1) qui, après avoir révélé l’existence d’un crime à la police, s’est retrouvé accusé de ce même crime. La Cour d’appel a ordonné un arrêt de procédures, au motif que le comportement des policiers à l’égard de l’informateur constitue un abus de procédure.

Il y a deux excellentes raisons de ne pas connaître l’identité de « Personne désignée ». D’abord, pour assurer sa sécurité et l’empêcher de subir des représailles. Aussi, pour mettre en confiance d’autres informateurs potentiels dans le futur. Si on ne protégeait pas l’identité des informateurs de police, les langues se déliraient moins souvent, et le système pénal en souffrirait.

Le mégagigantesque problème causé par ce procès secret – du jamais-vu dans l’histoire judiciaire québécoise et canadienne – est ailleurs.

Au lieu de garder confidentielle l’identité de l’informateur, au lieu de caviarder seulement l’identité de cette personne et les informations pouvant réellement permettre de l’identifier, on a sorti l’arme nucléaire : un procès secret de A à Z.

Le lieu du procès a été tenu secret (ce fait à lui seul peut se justifier, cela dit).

On ne connaît pas le tribunal de première instance. Ni l’identité du juge qui a entendu la preuve et rendu la décision en première instance. Ni celle des avocats de la Couronne.

Ni même quelle Couronne (on a compris plus tard que c’est la Couronne fédérale). Ni le service de police impliqué. Ni le district judiciaire. Le dossier est entièrement sous scellés et n’a pas été inscrit au rôle de la cour en première instance.

Bref, il n’y avait aucune trace du procès « sauf dans la mémoire des individus impliqués », résume la Cour d’appel du Québec, qui a révélé le 23 mars dernier l’existence du procès secret en publiant une version publique caviardée de sa décision ordonnant l’arrêt des procédures.

Pourquoi la Couronne fédérale et un(e) juge de première instance ont-ils acquiescé à un procès secret de A à Z ? On n’a aucune idée. Pire, le Service des poursuites pénales du Canada maintient sérieusement ne pas avoir mené de « procès secret ». Dans ce dossier, la Couronne fédérale n’a pas seulement perdu sa cause : elle a perdu le sens des mots.

Comment le fait de révéler la cour de première instance, le juge en première instance, les avocats de la Couronne permettra-t-il d’identifier l’informateur ? Avec égard, ce raisonnement n’a aucun sens.

Un procès secret est « incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale », conclut la Cour d’appel dans sa décision.

C’est pourquoi plusieurs médias, dont La Presse, se sont adressés récemment à la Cour d’appel afin de faire ultimement tomber les ordonnances de confidentialité et de huis clos (sauf pour protéger réellement l’identité de l’informateur). Ces médias ont plaidé lundi devant la Cour d’appel, qui a pris les requêtes en délibéré.

Si La Presse veut obtenir les détails de ce procès secret, c’est parce que nous croyons fortement au caractère public de nos débats judiciaires.

Au Québec et au Canada, la justice se rend « au vu et au su du public », rappelle la Cour suprême du Canada (2). C’est une valeur fondamentale de notre système de justice et de toute démocratie libérale.

Il y a bien sûr des exceptions. Protéger l’identité des informateurs confidentiels de police en est une.

Mais pas de cette façon. Pas avec un procès secret qui nous fait douter du caractère public de notre système de justice.

Il est donc crucial de faire la lumière sur ce qui aurait été un dangereux précédent, n’eût été la vigilance de la Cour d’appel.

Si on laisse passer cette fois-ci, d’autres procureurs de la Couronne, d’autres avocats de la défense, d’autres juges pourraient être tentés d’adopter cette façon simpliste, mais dangereuse de rendre la justice, entre autres pour des informateurs de police.

Il s’est malheureusement tenu un procès criminel secret au Québec. Vous n’avez pas le droit de connaître l’identité de l’accusé, mais vous avez droit à des explications. Et surtout, qu’on n’avalise pas cette grave erreur de jugement.

(1) Le masculin est utilisé dans ce texte uniquement pour simplifier la lecture. Le genre de « Personne désignée » n’est pas précisé dans la décision publique de la Cour d’appel.

(2) Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, par. 30

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