Il en va de la concurrence en télécoms comme des bébés : ils ne se font pas tout seuls. Et n’arrivent pas par magie (ou par une cigogne) sur votre perron.

Ça fait des années que le gouvernement Trudeau répète vouloir faire diminuer les prix de votre forfait de téléphonie sans fil et de votre forfait internet à la maison, parmi les plus chers du G7.

La meilleure façon de faire diminuer les prix : hausser la concurrence au sein de cet oligopole dominé par le Big 3 (Bell, Telus, Rogers). Si les prix sont plus bas au Québec, ce n’est pas grâce à nos beaux yeux, mais à la présence d’un quatrième acteur, Vidéotron.

Depuis une semaine, le gouvernement Trudeau propose de moderniser le cadre réglementaire pour que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) favorise une plus grande concurrence en télécoms. Traduction : le fédéral a choisi son camp, celui de la concurrence accrue et des prix plus bas pour les consommateurs.

C’est très bien. On ne peut pas être contre la vertu.

Sauf qu’en même temps, le gouvernement Trudeau vient de confirmer la jambette qu’il a faite en 2020 aux fournisseurs indépendants d’accès internet. En 2019, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) avait décidé de réduire de façon significative les tarifs payés par les fournisseurs indépendants au Big 3 et à Vidéotron pour utiliser leurs réseaux. On parle de baisses substantielles, jusqu’à 75 % (par exemple, le tarif d’accès pour le réseau de Vidéotron aurait été de 14,30 $ plutôt que 53,15 $ par mois par utilisateur).

Mais le Big 3 et Vidéotron ont protesté auprès du gouvernement Trudeau, qui a plié et fortement suggéré (traduction : forcé) au CRTC de revenir aux principes des anciens tarifs, beaucoup plus élevés. Ce qu’a fait le CRTC dans une nouvelle décision en 2021. Résultat : les coûts des fournisseurs indépendants pour l’accès aux réseaux ont augmenté (par rapport à la décision de 2019). Ce qui a poussé le plus grand fournisseur indépendant au Québec, Ebox, à jeter l’éponge en se vendant à Bell. Pas de quoi augmenter la concurrence…

Pour hausser la concurrence en téléphonie sans fil, le CRTC forcera bientôt les propriétaires de réseaux sans-fil (le Big 3 et Vidéotron) à louer leurs réseaux, mais seulement à des concurrents ayant aussi des réseaux sans fil. Ça n’amènera pas un maximum de nouveaux acteurs, mais ça permettra sans doute à un acteur régional (par exemple Vidéotron au Québec) d’offrir des services partout au pays. Et, si on rêve un peu, de créer le quatrième acteur national tant espéré depuis des décennies.

Tôt ou tard, si on veut réduire les prix en télécoms, Ottawa devra prendre des décisions qui déplairont au Big 3. Et ne pas reculer quand ça commencera à chauffer.

Le fédéral aura vite l’occasion de montrer si sa nouvelle philosophie réglementaire n’est que des paroles en l’air. Deux dossiers importants sont sur son bureau des ministres : la vente de Shaw et le choix du prochain commissaire du CRTC.

Pour permettre la vente de Shaw à Rogers, cette dernière doit se départir des services sans fil de Shaw (Freedom Mobile), un acteur régional important dans l’Ouest. Tout le monde, même les mariés, en convient. On a toutefois la désagréable impression que Rogers tente de refiler Freedom Mobile à l’acquéreur le moins expérimenté en espérant qu’il se casse les dents. Pourtant, Québecor serait le prétendant tout désigné pour accroître la concurrence. Le gouvernement Trudeau, qui aura le dernier mot sur la transaction, doit s’assurer qu’elle serve véritablement les intérêts des consommateurs.

Ottawa doit aussi nommer cet été un nouveau président au CRTC. Qui sera bilingue, mais pas nécessairement un francophone, dit le ministre Pablo Rodriguez.

Rappel amical au gouvernement Trudeau, qui se met parfois les pieds dans les plats en matière de bilinguisme : depuis sa création en 1968, le CRTC a toujours alterné en pratique entre un président francophone et un président anglophone. Cette fois-ci, c’est au tour d’un francophone.

Il faut donc souhaiter la nomination d’un président francophone… qui n’aura pas peur du Big 3.

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