« Comment un garçon de 18 ans acquiert-il un AK-47 ? Qu’a-t-il lu ou écouté pour rouler jusqu’ici et s’attaquer au Tops le plus noir de la ville ? »

Ces deux questions sont celles d’un intervenant communautaire de Buffalo interrogé par notre journaliste Simon-Olivier Lorange après la tuerie dans un supermarché Tops de cette métropole américaine.

Elles sont lourdes de conséquences.

Elles sont aussi incontournables. Si on ne remonte pas à la source d’un problème, on n’a aucune chance de le régler.

Comment diable un ado peut-il acheter plus facilement une arme semi-automatique qu’une bouteille de vin dans ce pays ? Et pourquoi tant de Blancs se radicalisent-ils au point de s’attaquer à des Noirs, des Juifs, des Asiatiques… ?

PHOTO ANGUS MORDANT, REUTERS

Le suspect de la tuerie se serait procuré légalement son arme au magasin Vintage Firearms, à Endicott, dans l’État de New York.

Mais le problème, pour nos pauvres voisins, c’est que les réponses à ces questions sont connues depuis longtemps.

De ville en ville, de tuerie en tuerie, de récit d’horreur en récit d’horreur, ces réponses sont des variations sur les deux mêmes thèmes : les armes à feu et la haine.

Les armes à feu ? Quel fiasco !

Les sondages démontrent systématiquement qu’une majorité d’Américains est en faveur d’un meilleur contrôle. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’intervenir sur cette question, les élus du Congrès américain se transforment en plantes vertes.

Le lobby des armes à feu est encore trop puissant au pays de l’Oncle Sam. Un peu comme sur la question de l’avortement, une petite minorité bien organisée et très, très bien financée parvient à imposer son ordre du jour à la majorité.

Les experts le répètent depuis longtemps : il y a un lien de cause à effet entre le nombre d’armes à feu en circulation et le nombre de morts par balles chaque année. Et des armes, il y en aurait désormais 390 millions en circulation. Soit 120 par 100 habitants. C’est délirant.

La haine ? Quelle tragédie !

Ceux qui tuent au nom d’Allah ont décidément été supplantés aux États-Unis au cours des deux dernières décennies par ceux qui soutiennent qu’un « génocide blanc » est en cours.

Les symptômes du mal sont apparents.

La tristement célèbre idée du grand remplacement occupe maintenant une place de choix dans certains médias traditionnels (Fox News, par-dessus tout) et sur les réseaux sociaux. Et les politiciens ont compris qu’il y a des gains à faire en instrumentalisant la colère et le ressentiment de certains Blancs.

Bref, l’indignation rapporte gros et ceux qui perdent de vue leur sens des responsabilités n’hésitent pas à en faire le commerce.

Les fabricants de haine sont nombreux, dynamiques et efficaces. Ils sont aussi, désormais, décomplexés.

« Un des changements majeurs auxquels nous avons assisté, particulièrement depuis l’élection de Donald Trump, c’est que les sanctions sociales à l’égard de ceux qui expriment des idées intolérantes se sont érodées », nous a expliqué Cassie Miller, chercheuse au Southern Poverty Law Center. Cet organisme de défense des droits civiques aux États-Unis surveille de près les groupes d’extrême droite.

L’organisation vient de constater que le nombre de groupes haineux sur le sol américain a diminué pour la troisième année de suite. Une bonne nouvelle ? Au contraire.

Nous pensons que ces idées sont devenues tellement conventionnelles qu’il y a maintenant moins de raisons de se joindre à un groupe haineux.

Cassie Miller, chercheuse au Southern Poverty Law Center

C’est désespérant.

Quand on se compare, on se console ? Oui et non.

On sait bien que le racisme n’occupe pas de ce côté-ci de la frontière une place centrale dans l’univers politique. Mais l’attaque de la grande mosquée de Québec ou celle de la famille musulmane délibérément fauchée par le conducteur d’un camion à London, en Ontario, nous rappellent que le mal fait son chemin sur le sol canadien… comme les armes à feu américaines qui traversent la frontière.

Même si le problème n’a absolument rien à voir avec ce qui se passe aux États-Unis, le contrôle des armes à feu gagnerait à être resserré au Canada.

Aucun pays n’est à l’abri de la montée de l’intolérance en cette époque où toutes nos certitudes sont ébranlées.

Banaliser la haine et ne pas prendre la lutte contre la radicalisation assez au sérieux sont des erreurs qui finissent un jour par coûter très cher. La tuerie de Buffalo, une fois de plus, nous le rappelle brutalement.

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