En l’espace de 48 heures, François Legault a enterré, coup sur coup, au propre comme au figuré, sa promesse de réformer le mode de scrutin et… le député libéral Pierre Arcand ! Dans les deux cas, on peut présumer qu’il s’agit d’excès d’arrogance de la part d’un homme dont le parti caracole en tête des sondages.

À la décharge du premier ministre, il a rapidement présenté ses excuses à Pierre Arcand, après avoir feint la surprise parce que celui-ci n’était « pas mort ».

N’empêche que l’élu libéral s’est dit ébranlé par ce que François Legault a qualifié de « mauvaise blague ». Selon Pierre Arcand, c’était plutôt « un coup en bas de la ceinture ». Et « à un moment donné », il doit y avoir « une limite à l’arrogance », a-t-il ajouté.

Il est aussi permis de voir de l’arrogance dans la façon dont la CAQ a enterré sa promesse de réforme du mode de scrutin au Québec.

« On se rend compte que ce n’est vraiment pas la priorité des Québécois. Il n’y a personne qui se bouscule dans les autobus, au Québec, pour changer le mode de scrutin », a déclaré mardi le premier ministre. Il confirmait ainsi que cette réforme, morte en décembre dernier, repose maintenant dix pieds sous terre.

Voyez ce qu’il a répondu lorsqu’on lui a fait remarquer qu’une fois réélu, il aurait le loisir de relancer ce dossier : « J’ai toujours dit que j’écoute les Québécois, bien, ce que j’entends des Québécois, c’est, à part quelques personnes qui sont dans la bulle politique, il n’y a pas d’appétit, dans la population en général, pour changer le mode de scrutin. »

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

François Legault sait pourtant très bien que ça n’a jamais été LA priorité des Québécois. Et que même si ça n’empêche personne de dormir la nuit, ça ne veut pas dire que ce n’est pas important.

Le pire, c’est qu’après avoir soutenu qu’elle ne ferait pas « comme Justin Trudeau » – qui avait abandonné sa promesse en cours de route –, la CAQ tente maintenant de nous faire croire qu’elle n’a jamais promis de réforme, ce qui est absolument faux.

Le plus ironique, c’est que ce dossier ne serait probablement pas revenu embêter la CAQ si le parti… n’était pas si populaire.

Car la domination de la CAQ, jumelée à la multiplication des partis politiques à Québec, permet d’illustrer de façon plus éloquente qu’auparavant l’ampleur de la distorsion provoquée au Parlement par le mode de scrutin actuel.

Le parti obtient actuellement l’appui de 44 % des Québécois, ce qui pourrait se traduire par la récolte d’une centaine de sièges (sur les 125 que compte l’Assemblée nationale) lors du scrutin d’octobre prochain, soit 80 %.

Si quelqu’un tentait de reproduire cette distorsion sur une guitare électrique, plusieurs se boucheraient les oreilles.

En conséquence, la consultation promise sur le mode de scrutin est plus urgente que jamais.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Pascal Bérubé, chef parlementaire du Parti québécois

Le cri du cœur lancé à ce sujet par Pascal Bérubé, qui pourrait être un des seuls députés du Parti québécois élus à l’Assemblée nationale en cas de raz-de-marée caquiste en octobre prochain, est compréhensible.

Il rappelle d’ailleurs celui de René Lévesque en 1970. Le Parti québécois avait terminé en quatrième place et n’avait obtenu que 7 élus (sur 108) pour 23 % des voix, alors que les libéraux de Robert Bourassa triomphaient avec 72 députés pour 45 % des voix, a rappelé le professeur Julien Verville récemment dans un essai fort instructif sur l’histoire de la réforme du mode de scrutin au Québec.1

« Au nom d’un quart de l’électorat, dangereusement réduit à un quinzième de la représentation parlementaire, puis-je souligner enfin l’urgence criante d’une réforme vigoureuse du système et de la carte qui transforme ainsi la démocratie en faux semblant », avait alors écrit René Lévesque à un Robert Bourassa fraîchement élu.

C’était il y a 50 ans. Et personne, depuis, n’a jamais osé modifier le mode de scrutin.

Après les élections d’octobre prochain, plusieurs chefs de partis de l’opposition pourraient être forcés de faire un constat similaire à celui de René Lévesque.

Dans ces circonstances, puisse la CAQ se laisser convaincre une fois de plus de l’urgence criante d’une réforme.

1 Réforme du mode de scrutin au Québec : Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion, paru aux Presses de l’Université du Québec en 2020.

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