Jésus a multiplié les pains. François Bonnardel, lui, multiplie les tunnels.

La mise à jour du projet de troisième lien Québec-Lévis, présentée au début du long week-end pascal, comporte désormais deux plus petits tunnels de deux voies chacun, ce qui permettra au ministre des Transports de réduire la facture de 10 à 6,5 milliards de dollars. Quatre nouvelles voies routières, donc, qui devraient, nous promet-on, réduire la congestion sur les deux ponts de Québec.

Comment le ministre arrive-t-il à ce petit miracle ?

Il faut avoir la foi, comme les chrétiens qui célébreront la résurrection du Christ dimanche. Une foi aveugle, car M. Bonnardel n’a aucune projection, étude de faisabilité ou donnée probante pour appuyer son argumentaire à la défense d’un bitube qui favorisera l’étalement urbain, par-dessus le marché. « Je travaille là-dessus », se contente-t-il de dire.

Ça tombe mal, car nous sommes comme saint Thomas. Incrédules, nous avons besoin de preuves pour croire.

Le ministre nous a bien lancé quelques chiffres, qu’on connaissait déjà : le pont Pierre-Laporte a été conçu pour accueillir 90 000 voitures par jour, il en circule aujourd’hui autour de 126 000, et ce nombre grimpera à 143 000 d’ici 2036.

Mais ces prévisions ne tiennent aucunement compte d’une quelconque diminution de l’utilisation de l’auto au cours des prochaines années. À défaut de nous fournir des documents, son ministère a plutôt pondu un tableau qui compare le nombre de ponts par million d’habitants dans plusieurs grandes villes québécoises pour illustrer que la ville de Québec est défavorisée. Un tableau qui « oublie », entre autres, que Montréal est une île…

Le ministre dit croire au transport collectif. Il a répété à plusieurs reprises que « pour que les gens laissent leur deuxième voiture à la maison », il leur faudrait une option rapide et confortable.

Sur le temps de déplacement, il n’a pas tort : il faut mettre 45 minutes pour se déplacer de Lévis au centre-ville de Québec en autobus, matin et soir. C’est long. Il faut dire que la région de la Capitale accuse un sérieux retard en termes d’investissements en transports collectifs. C’est pour contourner le fameux fer à cheval qui fait pester les automobilistes – 88 % d’entre eux sont seuls dans leur voiture à l’heure de pointe – qu’on souhaite construire un troisième lien. Un tunnel qui passerait sous le fleuve permettrait, toujours selon le ministre, de réduire le trajet entre les deux centre-villes à une quinzaine de minutes. Malheureusement, il n’avait aucune étude ou simulation pour le démontrer. Et il n’a pas étudié d’autres options qui miseraient davantage sur le transport collectif.

Or les experts – urbanistes, géographes urbains, etc. – sont unanimes : quand on augmente la capacité routière, on augmente la circulation. C’est démontré. Malheureusement, le ministre ignore les experts et leurs connaissances.

Comme il ignore, semble-t-il, la lutte contre les changements climatiques. Ce projet, c’est une invitation à l’étalement urbain, François Bonnardel ne s’en cache même pas. La réduction des émissions de gaz à effet de serre ne semble tout simplement pas apparaître sur son radar.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

François Bonnardel, ministre des Transports, lors de la présentation de la nouvelle mouture du projet de troisième lien, jeudi

Aux gens de peu de foi qui s’inquiéteraient d’un éventuel étalement urbain autour de Lévis, M. Bonnardel et sa collègue Geneviève Guilbault, venue l’appuyer en conférence de presse, suggèrent de regarder les choses autrement : il s’agit en fait de « rééquilibrage » et de « revitalisation ». Deux euphémismes qui signifient : on a développé à l’ouest de Lévis, c’est au tour de l’est maintenant. Quant au souci de densification qui devrait être présent dans tout projet de développement qui se respecte en 2022, M. Bonnardel répond qu’il n’a pas l’intention de « forcer des familles à aller vivre dans des tours de 20 étages parce que la mode est à la densification ». Une telle incompréhension des enjeux urbanistiques laisse pantois.

Le ministre refuse d’envisager la construction d’un troisième pont – comme le suggère l’ingénieur Bruno Massicotte. L’impact environnemental d’un pont serait plus grand, assure-t-il. Avez-vous des études ? Non, mais on le sait…

Même foi du charbonnier lorsqu’on évoque une possible gestion dynamique de la circulation qui permettrait d’optimiser le pont Pierre-Laporte. Impossible, déclare le ministre, sans aucune donnée pour justifier sa réponse.

En fidèle disciple, le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, est déjà prêt à aller évangéliser les plus sceptiques. Sans surprise, le maire de Québec ne partage pas sa ferveur. Il faut dire que sous sa forme actuelle, le projet de troisième lien est en rupture totale avec les idées et les principes défendus par Bruno Marchand.

Le dépôt du projet d’affaires est prévu pour 2025. D’ici là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts achalandés. Des élections, des négociations pour convaincre Ottawa de financer 40 % du bitube – ce qui est loin d’être acquis –, des études d’impact environnemental… Est-ce que la CAQ défendra encore le troisième lien dans trois ans ? Dieu seul le sait.

Il y a cinq mois, nous écrivions qu’il fallait enterrer le projet de tunnel géant. Sa résurrection sous forme de bitube n’a pas ébranlé nos convictions.

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