Récemment, Pierre Poilievre a acheté un shawarma dans un restaurant de London, en Ontario, en le payant en bitcoins.

Grand bien lui fasse, et on espère que le mets libanais préparé par les frères Aly et Omar fut à la hauteur.

Le problème, comme c’est souvent le cas avec le candidat à la direction du Parti conservateur, est que cet achat hautement médiatisé lui a servi de prétexte pour tenir des propos démagogiques et attaquer nos institutions.

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Ça pourrait être divertissant si M. Poilievre n’était pas susceptible de prendre la tête d’un parti fédéral majeur.

Sur toutes les tribunes, M. Poilievre accuse maintenant la Banque du Canada d’« imprimer de l’argent » et de « dévaloriser la devise » en créant de l’inflation. Il promet de « redonner la liberté » aux gens en leur permettant de « choisir leur propre monnaie ».

Le tout, bien sûr, en « décentralisant » l’économie.

Ce n’est pas seulement farfelu. C’est hautement dangereux. En tentant de miner la confiance des Canadiens envers leur banque centrale, Pierre Poilievre vole une page du livre de Donald Trump. Celui-ci s’était aussi attaqué à la Fed avant de déverser son fiel vers la Cour suprême, le FBI et tutti quanti.

On le sait aujourd’hui : ces attaques verbales envers les institutions peuvent se matérialiser dans le monde physique. Aux États-Unis, le Capitole a été pris d’assaut par une horde de gens désinformés. Chez nous, la capitale a été assiégée pendant plusieurs semaines cet hiver – avec, évidemment, le soutien de M. Poilievre.

Le Canada serait-il en meilleure posture aujourd’hui si la Banque du Canada n’existait pas, si l’économie était « décentralisée » et si on payait tout en bitcoins plutôt qu’en dollars ?

Bien sûr que non.

M. Poilievre tente l’exercice risible d’effacer des centaines d’années de théorie économique en quelques formules-choc populistes.

Son objectif est évident : faire signer des cartes de membre du Parti conservateur à la frange la plus libertarienne des Canadiens. Et pour ça, il est prêt à sacrifier toute rigueur.

Si la Banque du Canada a injecté des liquidités dans l’économie pendant la pandémie, ce n’était évidemment pas pour le plaisir de créer de l’inflation plus tard. C’était pour s’assurer que les nombreuses personnes et entreprises privées de revenus qui cherchaient à emprunter de l’argent en trouvent sans se heurter à des taux d’intérêt exorbitants. Bref, pour empêcher qu’une crise financière ne s’ajoute à la crise sanitaire.

Oui, les interventions de la Banque du Canada (et celles de toutes les banques centrales de la planète) ont contribué à l’inflation qu’on vit aujourd’hui. Mais les économistes vous diront qu’il y a bien d’autres causes au phénomène qui n’ont rien à voir avec cette institution.

  • Les gouvernements ont fait pleuvoir de l’argent pendant la pandémie, sans doute trop généreusement.
  • Faute de pouvoir dépenser dans des services comme les voyages et les restaurants, les citoyens se sont rués sur les biens comme les matériaux de construction et les électroménagers. L’économie n’était pas préparée à un tel mouvement, et d’autant moins que les chaînes d’approvisionnement étaient perturbées par la COVID-19.
  • L’invasion de l’Ukraine et les sanctions contre la Russie ont diminué l’offre pour plusieurs ressources essentielles.

On peut certainement plaider que la Banque du Canada a tardé à passer du mode « combattre la pandémie » au mode « combattre l’inflation ». Mais ce n’est pas une raison pour vouloir la rayer de la carte.

S’il veut devenir premier ministre du Canada, M. Poilievre devra nous expliquer comment il compte naviguer dans les aléas économiques en privant le pays d’un outil d’intervention aussi fondamental qu’une politique monétaire.

Il devra aussi nous expliquer comment payer toutes nos dépenses en bitcoins, une monnaie dont la valeur oscille comme l’électrocardiogramme d’un patient en état de choc, rendra la vie des Canadiens plus facile. Depuis un an, le bitcoin a atteint un creux de 29 000 $ US et un pic de 69 000 $ US, en passant entre cela par toute la gamme des émotions.

Si vous trouvez que le prix de l’essence fluctue vite, accrochez-vous. Parce qu’avec la doctrine Poilievre, c’est l’ensemble de votre pouvoir d’achat qui s’embarquerait pour une joyeuse balade en montagnes russes.

En quelques mois, Pierre Poilievre a soutenu beaucoup trop longtemps des manifestants qui rêvaient de renverser le gouvernement démocratiquement élu de Justin Trudeau. Il a tiré sans nuances sur le volet anglophone de Radio-Canada. Il s’attaque maintenant à la légitimité de la Banque du Canada.

Tout ça manque de sérieux. Mais on aurait tort d’en rire, car on sait maintenant que le danger du populisme n’est pas à prendre à la légère.

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