Alors que Jean Charest est sur le point d’annoncer sa candidature à la chefferie du Parti conservateur du Canada, Stephen Harper se donne des airs d’empereur.

Souvenons-nous : les empereurs romains devaient jadis décider du sort des gladiateurs. Le pouce levé signifiait qu’un gladiateur allait survivre.

L’ancien premier ministre conservateur du Canada, pour sa part, a rapidement baissé son pouce.

Selon Stephen Harper, « Jean Charest n’est pas un vrai conservateur ».

C’est ce que notre chef de bureau à Ottawa, Joël-Denis Bellavance, a rapporté récemment.

On apprenait aussi que l’ancien premier ministre « ne restera pas les bras croisés » si Jean Charest pose sa candidature.

Ce ne serait pas étonnant. En 2020, Stephen Harper avait lui-même pris soin de téléphoner à certains députés du parti pour les mettre en garde contre Jean Charest.

Plusieurs ont des doutes quant à l’idée de voir Jean Charest briguer la direction du Parti conservateur et on comprend pourquoi. Il traîne bien des casseroles. Ses rivaux ne manqueront pas de le souligner.

Mais il y a quelque chose de troublant à voir un ancien premier ministre se muer en faiseur de rois en tentant de déterminer la pureté idéologique de tel ou tel candidat.

N’en déplaise à Monsieur Harper, permettez-nous de revenir en arrière. Car l’histoire éclaire le présent.

Et dans le cas qui nous intéresse, elle révèle la mauvaise foi de la démarche de l’ancien premier ministre.

Stephen Harper exerce encore un véritable ascendant sur le Parti conservateur, pour plusieurs bonnes raisons.

D’abord, il a contribué à sa fondation. Il fut l’un des principaux architectes de la fusion entre l’Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur, en 2003.

Ensuite, il fut le seul à devenir premier ministre à la tête de cette formation politique. Il a triomphé trois fois. En 2006, 2008 et 2011.

Rappelons maintenant comment il a pu se hisser à la tête du pays. C’est fondamental.

Tant l’Alliance canadienne que son ancêtre, le Parti réformiste (dirigé par Preston Manning), étaient pratiquement incapables de récolter des sièges à l’est du Manitoba.

Stephen Harper a goûté à la victoire à partir du moment où il a fait monter les progressistes à bord de son parti et donné moins de pouvoir aux populistes, aux réactionnaires et aux conservateurs sociaux qui s’y trouvaient déjà.

À partir du moment, en somme, où il a décidé de faire campagne en s’inspirant davantage de Brian Mulroney que de Preston Manning.

D’ailleurs, lors de la fusion de l’Alliance canadienne et du Parti progressiste-conservateur, l’entente prévoyait que le premier des principes fondateurs qui guideraient le nouveau parti était l’atteinte d’un « équilibre entre la responsabilité fiscale, une politique sociale progressiste et les droits et responsabilités individuelles ».

Or, aujourd’hui, en voulant barrer la route aux candidats les plus progressistes (Jean Charest ne sera probablement pas le seul), Stephen Harper se retrouve à favoriser Pierre Poilievre.

C’est-à-dire un digne représentant de la faction conservatrice du parti qui n’a jamais été en mesure de vaincre les libéraux.

Une faction qui flirte actuellement avec l’idéologie réactionnaire du Parti populaire de Maxime Bernier, comme l’a démontré le soutien offert aux manifestants qui ont assiégé Ottawa.

Une faction qui est incapable d’admettre que les changements climatiques représentent une menace existentielle puisqu’elle ne… croit pas aux changements climatiques !

On voit mal comment les conservateurs pourraient se démarquer au Québec avec un tel programme. Notons d’ailleurs qu’aucun député conservateur élu au Québec n’a jusqu’ici offert son soutien à Pierre Poilievre. Ce n’est pas un hasard.

La vérité, c’est que Stephen Harper en veut à Jean Charest.

Notamment parce que ce dernier, en 2008, avait attaqué les conservateurs fédéraux alors qu’ils avaient sabré dans la culture et promis d’abolir le registre des armes à feu.

Bien sûr, il n’est pas faux de dire que la course au leadership du Parti conservateur est une bataille pour l’âme de cette formation politique.

Mais la question de la pureté idéologique ne devrait pas figurer à l’ordre du jour de cette lutte.

Ce sont plutôt les intentions de Stephen Harper qui, dans toute cette affaire, n’ont rien de pur.

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