La Loi sur les mesures d’urgence adoptée lundi soir par le Parlement canadien est un constat d’échec généralisé de nos autorités.

Elle est la démonstration que devant une situation nouvelle, mais néanmoins prévisible, on s’est fait prendre les culottes baissées. On a dû fracasser en panique la vitre du coffret sur lequel il était écrit « en cas d’urgence seulement » pour se ruer sur l’extincteur d’incendie.

Cela commande une importante réflexion.

Vrai, cet extincteur est complètement différent du canon à eau utilisé par Pierre Elliott Trudeau pendant la crise d’Octobre. Avec tout ce qu’on entend ces jours-ci, il n’est pas inutile de rappeler que l’armée n’est pas déployée dans les rues. Que les droits et libertés des citoyens continuent de prévaloir. Qu’on ne compte pas des centaines d’arrestations et de détentions arbitraires comme en 1970. Que toute comparaison avec la Russie et la Chine est évidemment grotesque.

La loi actuelle sur l’état d’urgence, décrite comme l’une des plus balisées au monde par l’experte Nomi Claire Lazar, de l’Université d’Ottawa, prévoit de nombreux contrepoids et mécanismes de contrôle.

Il reste que ce à quoi on assiste actuellement est très loin d’être idéal. Quand le Parti conservateur, défenseur de la loi et l’ordre, joint sa voix à celle de l’Association canadienne des libertés civiles pour dénoncer la méthode forte soutenue par les libéraux et les néo-démocrates, vous savez que le monde n’est plus tout à fait ce qu’il était.

Cette loi, malheureusement, vient créer une nouvelle ligne de fracture, un nouveau sujet de débats enflammés. Comme si c’est ce qui manquait actuellement…

Il y a une semaine, l’imposition de la Loi sur les mesures d’urgence est venue donner un électrochoc à la lutte contre le siège d’Ottawa qui s’enlisait. Elle a permis de geler le financement des manifestants. D’obliger les entreprises de remorquage réticentes à dégager les camions. De rendre illégale la présence d’enfants dans les manifestations.

Il est indiscutable que ces décrets se sont avérés de précieux outils pour dénouer la crise. Étaient-ils nécessaires ? Les enquêtes qui seront menées finiront peut-être par le dire.

Six jours plus tard, en tout cas, il est ironique de voir le Parti libéral et le NPD voter pour une loi qui paraît chaque jour moins nécessaire. Le 15 février, la proclamation de l’état d’urgence invoquait des « blocages continus », la « rupture des chaînes d’approvisionnement » et des « effets néfastes sur l’économie canadienne ». Rien de cela n’est vrai aujourd’hui.

Justin Trudeau et le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, ont affirmé que la « menace » plane toujours, que des camions sont toujours dans la région d’Ottawa, que des millions de dollars pourraient couler à nouveau dans les coffres des manifestants.

C’est vrai… mais ça risque de l’être très longtemps. Et aucun des deux chefs n’a été clair sur les conditions qui conduiront à la levée de l’état d’urgence.

À court terme, le comité chargé de superviser l’application de cette loi d’exception devra être beaucoup plus convaincant pour justifier son prolongement.

À long terme, il est impératif de faire une autopsie de ce triste épisode.

La colère d’une minorité de citoyens semble malheureusement là pour de bon.

Les corps policiers devront apprendre à mieux y réagir.

Nos lois devront être plus solides pour éviter qu’on doive les renforcer dans l’urgence et l’improvisation. Les dernières semaines ont montré à quel point le financement étranger de groupes dont l’objectif avoué est de renverser le gouvernement peut être inquiétant, par exemple. Il était rassurant, lundi, d’entendre Justin Trudeau évoquer une législation permanente sur cette question – même si cela devra être fait avec doigté.

Les politiciens, de leur côté, auraient intérêt à réaliser que politiser la colère ambiante est un jeu extrêmement dangereux.

L’objectif ultime : adapter nos façons de faire et nos lois à une nouvelle réalité afin de conserver une certaine paix sociale. Et que l’extincteur reste dans sa boîte.

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