Charlotte Cardin annule sa tournée de concerts aux États-Unis, le TNM reporte les représentations de la pièce Lysis, Le Diamant annule Les sept branches de la rivière Ōta… Après presque deux ans de pandémie, le spectacle vivant est de nouveau plongé dans un cycle d’annulations et de reports qui crèvent le cœur.

Pendant que les cotes d’écoute de la télé et la vente de livres québécois sont en hausse, ce dont on se réjouit, les arts de la scène souffrent dans une certaine indifférence.

Des travailleurs de la culture ont changé de métier parce qu’ils ne peuvent plus payer leur loyer. Des artistes rongent leur frein en silence, se demandant quand ils remonteront sur les planches.

Quant aux producteurs de spectacles, ils s’interrogent : le public sera-t-il au rendez-vous quand on rouvrira enfin les salles ?

Jeudi et vendredi, diverses associations représentant les arts de la scène vont échanger avec l’équipe du cabinet de la ministre de la Culture, Nathalie Roy, pour parler de l’« après ». On pourrait reprocher à la ministre Roy de ne pas y assister, mais au même moment se tiennent des rencontres relatives à la révision des lois sur le statut de l’artiste, un autre dossier important pour le milieu culturel. L’essentiel, nous dit-on de part et d’autre, c’est que la rencontre ait lieu. Les représentants des associations concernées sont bien conscients de la gravité de la situation dans les hôpitaux et ne remettent pas en question les mesures de la Santé publique. Ils souhaitent toutefois qu’on réfléchisse à la suite des choses.

S’il faut accepter de vivre avec ce virus pour quelques années encore, qu’est-ce que ça signifie pour eux ? Il faut réfléchir à une stratégie. On ne rouvre pas les salles comme on ouvre un robinet. Comment faire pour que l’expérience artistique soit concluante ? Quelles sont les conditions pour ramener le public dans les salles de manière sécuritaire ? Certains se questionnent même sur la notion de saison. Si le virus revient d’un hiver à l’autre, faut-il encore programmer des spectacles en janvier et en février ? Et si on retarde le début de la saison, quelles seront les conséquences sur l’écosystème culturel ?

Il faut aussi parler de sécurité économique. Penser à un statut particulier pour les travailleurs intermittents, afin qu’ils aient droit aux mêmes protections que les autres travailleurs. Une rencontre avec le ministre canadien du Patrimoine, Pablo Rodriguez, devait parler d’indemnisation et de soutien aux artistes et aux travailleurs de la culture, mais le sommet a dû être reporté à cause de la COVID. Or ce dossier a assez traîné, il presse de le régler. La pénurie de personnel provoquée par l’exode des techniciens de la scène ainsi que la perte d’expertise risquent de faire mal en coulisses. Et qu’arrivera-t-il à toute une génération d’artistes qui sortent tout juste des écoles et qui commenceront leur carrière dans un contexte où le goulot d’étranglement causé par la pandémie risque de les étouffer ? On le voit, les enjeux sont nombreux et complexes.

Le problème, c’est qu’on a tendance à considérer la culture en dernier lieu, comme une couche de glaçage sur un gâteau. Or c’est un secteur qui mérite tout autant notre attention que les commerces, la restauration, ou les sports.

On en parle d’ailleurs beaucoup ces temps-ci, des sports. Qu’on pense aux exploits de Mikaël Kingsbury, aux problèmes du Canadien de Montréal ou aux déboires de Novak Djokovic. On justifie la tenue des Jeux olympiques dans un pays totalitaire sous prétexte que les athlètes se sont entraînés pendant des années et qu’ils doivent réaliser leurs performances. Mais que dire des artistes qui entraînent leur corps, leur voix, qui apprennent des textes par cœur ? Eux aussi souhaitent performer et pratiquer leur art.

La culture a des retombées dont notre société ne peut se priver : retombées économique, bien sûr, mais aussi psychologiques, éducatives, intellectuelles. Sans compter ce lien social qui nous fait tant défaut depuis deux ans, et qui est au cœur du spectacle vivant. Cette magie qui naît quand on assiste tous ensemble, dans un même lieu, à une performance artistique ne sera jamais égalée par un succédané numérique.

La question pour l’instant n’est donc pas de remettre en question les décisions de la Santé publique, mais bien de se mettre au travail pour assurer la survie d’une créativité essentielle à nos vies.

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