On a bien résumé au cours des derniers jours ce qui a changé depuis la mort de George Floyd d’un bout à l’autre des États-Unis, voire de l’Amérique du Nord au grand complet.

Il importe toutefois, pour ne pas donner l’impression que l’affaire est entendue et que tout va désormais pour le mieux, d’insister aussi sur ce qui n’a pas changé.

Car il s’annonce encore long, chez nos voisins du Sud, le combat pour la justice raciale.

Si vous nourrissez à ce sujet le moindre doute, les témoignages recueillis par le sondeur républicain Frank Luntz et diffusés récemment par le New York Times vont le dissiper.

Dans le cadre des cérémonies soulignant le premier anniversaire de la mort de George Floyd, Frank Luntz a interviewé 14 partisans de Donald Trump. Des femmes et des hommes blancs, relativement âgés. Un groupe, donc, dont le profil est représentatif de l’électorat de l’ancien président républicain.

S’ils qualifient ce qui s’est passé de « tragique » et de « douloureux », ils ont cependant une vision bien différente de celle qui fait désormais consensus. Tant sur le sort de la victime que sur la discrimination et les injustices raciales. Par exemple, ils estiment presque tous (13 sur 14) que George Floyd est « en quelque sorte » responsable de ce qui s’est passé.

« C’était un drogué et un criminel qui a résisté à son arrestation et qui s’est placé dans une situation pour que se produise ce qui lui est arrivé. S’il n’avait pas résisté à son arrestation, ça ne se serait pas produit », a dit l’un des hommes interrogés.

Certains ont aussi fait part de leur scepticisme quant au fait que la couleur de sa peau ait pu jouer un rôle quelconque et à celui – documenté – que le problème de brutalité policière frappe les Noirs de façon disproportionnée.

D’ailleurs, dix d’entre eux estiment que si les Noirs craignent davantage les policiers, c’est la faute… aux médias.

« Ils ont tout avantage à mettre de l’huile sur le feu afin de bouleverser les Noirs autant qu’il soit humainement possible de le faire, pour leur faire croire qu’un policier va leur tirer dessus à vue, pour aucune raison apparente. […] C’est pour ça qu’ils résistent lorsqu’on les arrête. C’est pour ça qu’ils se sauvent. Et c’est pour ça qu’il y a des problèmes. »

Découvrez les témoignages (en anglais) dans le New York Times

De tels commentaires nous rappellent à quel point ce pays est clivé.

On ne peut nier que la mort de George Floyd a éveillé des consciences et que la perception du mouvement Black Lives Matter a évolué de façon positive. En revanche, plusieurs ont été scandalisés par les diverses manifestations et revendications.

Ainsi, non seulement la discrimination à l’égard des Noirs n’a pas disparu, mais elle s’est peut-être même accentuée.

Selon un sondage effectué par l’Associated Press et l’Université de Chicago, pas moins de 68 % des Afro-Américains (et au total, 43 % des Américains) estiment qu’elle a augmenté au cours de la dernière année.

Quant à la question de la violence policière, elle est bien loin d’être réglée. Si des avancées ont été signalées dans quelques rares États, en général, les réformes se font encore attendre. Y compris sur le plan national.

Et les Noirs sont encore nombreux à tomber sous les balles des policiers. On en dénombrait déjà 89 cette année, en date du 21 mai, selon des chiffres cités récemment par Politico.

Si à Montréal on rapporte des « tensions accrues » avec les policiers dans certains quartiers depuis la mort de George Floyd, on ne peut qu’imaginer à quel point les plaies prendront du temps à cicatriser chez nos voisins du Sud.

Lisez notre texte à ce sujet

Cette mort brutale s’est transformée en étincelle. C’est incontestable. Et c’est tant mieux.

Car elle a permis de redynamiser la lutte contre les injustices raciales et la mobilisation d’un plus grand nombre d’Américains.

Mais il aurait été naïf de croire – comme au sujet de l’élection de Barack Obama en 2008 – qu’elle permettrait de réparer rapidement la fracture raciale.

En exagérant son effet, on court ainsi le risque de s’aveugler sur tout le travail qu’il reste à faire.

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