La réhabilitation de Maripier Morin a-t-elle été trop rapide ?

Passez votre tour si vous souhaitez une réponse claire à cette question embêtante, car il n’y en a pas.

Par contre, restez avec nous jusqu’à la fin si vous souhaitez tenter de comprendre pourquoi, parmi les artistes québécois dont la réputation a été écorchée dans la foulée du mouvement #MoiAussi, elle s’en tire mieux qu’à peu près tout le monde.

Comment pouvons-nous affirmer que l’opinion publique peut être plus indulgente à l’égard de certains artistes ?

Facile. Inversons les rôles dans l’histoire que nous avons sous les yeux.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Maripier Morin

Imaginons que c’est plutôt Safia Nolin qui a été dénoncée pour des attouchements sexuels non sollicités, des agressions physiques et des propos racistes. Et que c’est Maripier Morin qui allègue avoir été mordue.

Est-ce qu’une maison de disques aurait déjà demandé à Safia Nolin de préparer un nouvel album ?

Est-ce qu’elle aurait été contactée par un producteur enthousiaste pour l’organisation d’un spectacle ?

Sa sélection pour un prix Félix aurait-elle été cautionnée par l’ADISQ ?

Enfin, lui aurait-on offert la chance d’aller faire son mea culpa à Tout le monde en parle ?

Hum…

Son séjour au purgatoire aurait possiblement été plus long.

À l’instar des carrières de certains musiciens — Yann Perreau, Bernard Adamus, Kevin Parent — dénoncés l’été dernier, à peu près au même moment que Maripier Morin, qui n’ont pas redécollé aussi rapidement.

Ils ont été largués par leur maison de disques ; l’industrie musicale leur a donc tourné le dos. Et le public ne semble pas, du moins pour l’instant, les réclamer à grands cris.

Bref, tout le contraire de ce qui est arrivé à Maripier Morin.

Pourquoi semblons-nous prêts à pardonner à certains beaucoup plus facilement qu’à d’autres ?

La nature des allégations joue pour beaucoup, bien sûr. Parmi les dossiers qui n’ont pas été judiciarisés, il y a plusieurs cas de figure et, forcément, plusieurs façons de les interpréter.

Le fait que ces allégations sont portées contre une femme plutôt qu’un homme est également une hypothèse à considérer.

Mais il ne faudrait pas non plus sous-estimer l’impact de la célébrité de Maripier Morin, de sa cote d’amour auprès du public et de son apparence. Tout ça fait très certainement partie de l’équation.

Les progrès de la psychologie cognitive ont démontré hors de tout doute que nos cerveaux sont des machines « à tirer des conclusions hâtives », comme l’a écrit un des spécialistes de ce domaine, Daniel Kahneman.

L’un des biais cognitifs qui influencent notre perception, c’est l’effet de halo. Il s’agit de la tendance selon laquelle vous allez aimer ou détester « tout en bloc chez une personne — y compris des choses que vous n’avez pas observées », a expliqué ce psychologue et économiste américano-israélien.

Par exemple, si vous rencontrez une femme que vous trouvez « séduisante et d’un contact agréable », vous serez aussi prédisposé à croire qu’elle est généreuse. Il s’agit essentiellement d’une « intuition qui correspond à la relation émotionnelle qu’elle a suscitée ». *

Les recherches dans ce domaine sont fascinantes.

« Des études où on a présenté des photos à des participants ont montré que l’effet de la beauté physique a un grand impact sur les jugements qu’on porte, incluant jusqu’à quel point une personne est digne de confiance », nous a expliqué Isabelle Blanchette, professeure à l’École de psychologie de l’Université Laval.

Elle signale que la perception du public à l’égard de l’apparence des victimes influence également les jugements.

Une étude canadienne a même démontré qu’on a « davantage tendance » à dire qu’un propriétaire coupable de négligence criminelle doit être puni si la victime (fictive) qui figure sur la photo est jugée plus belle. Dans ce cas, les participants à la recherche considéraient la situation comme « plus tragique et plus injuste », raconte Mme Blanchette.

Les questions de la rédemption et du pardon sont extrêmement complexes dans nos sociétés.

Prendre conscience de nos biais et de la subjectivité de nos jugements peut nous permettre de prendre des décisions plus éclairées, mais aussi de mieux comprendre pourquoi nos réactions à l’égard des personnalités publiques en mode réhabilitation sont souvent à géométrie variable.

* Voir le livre de Daniel Kahneman, Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée

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