À 26 milliards de dollars, c’est une gigantesque bouchée que prend Rogers en avalant sa rivale Shaw Communications.

Et pour les Canadiens, cette bouchée passe de travers. En tenant compte du pouvoir d’achat, ceux-ci paient déjà leurs forfaits de téléphonie et d’internet plus cher qu’à peu près partout dans le monde. En réduisant la concurrence, la disparition d’un fournisseur ne peut qu’empirer les choses.

Face à une transaction qui ne sert pas l’intérêt des Canadiens, le gouvernement fédéral se retrouve donc directement interpellé. Il ne peut détourner la tête.

En campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau ont promis de réduire les tarifs du sans-fil de 25 % en deux ans. Alors que cette échéance arrive bientôt, la mégatransaction Rogers-Shaw force le gouvernement fédéral à nous dire comment il compte respecter cette promesse.

Depuis les années Harper, le fédéral souhaite l’émergence d’un « quatrième joueur » pancanadien qui pourrait concurrencer le fameux trio Rogers-Bell-Telus et faire baisser les prix. Le hic, c’est que le marché pousse dans le sens contraire.

Les entreprises qui viennent perturber l’équilibre du puissant triumvirat se retrouvent rapidement avalées par l’un des bras de l’oligopole. Ce fut le cas de Manitoba Telecom, acquis par Bell il y a quelques années. On revit la même chose avec Shaw et Rogers dans l’Ouest canadien.

Le mouvement est d’autant plus fort que la venue prochaine de la 5G, la prochaine génération de téléphonie mobile, exige des investissements majeurs de la part des entreprises. Bâtir un réseau d’un océan à l’autre est une tâche titanesque. Il est tentant de prendre des raccourcis en achetant les morceaux construits par d’autres, surtout si on peut éliminer un concurrent du même coup.

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Rogers souhaite acheter sa rivale Shaw Communications.

L’exception notable est Vidéotron, au Québec, qui est bien installé comme quatrième acteur et qui livre bataille à Bell, Rogers et Telus. Les consommateurs en voient d’ailleurs les bénéfices : les prix des forfaits dans la province sont plus bas qu’ailleurs au Canada. L’acquisition de Shaw par Rogers aurait d’ailleurs beaucoup moins d’impact chez nous.

Notons que Cogego a aussi résisté aux pressions de Rogers, mais il n’est pas présent dans le sans-fil, le principal vecteur de croissance dans l’industrie.

S’il croit toujours à l’idée d’un quatrième joueur, le fédéral pourrait bloquer l’acquisition de Shaw par Rogers – ou, à tout le moins, forcer la vente de certains morceaux à des concurrents.

On sait que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et le Bureau de la concurrence doivent approuver la transaction. Il se pourrait que ça ne passe pas comme une lettre à la poste.

Surtout, le ministère de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie doit aussi donner son aval. S’il y a une volonté politique de bloquer l’acquisition, c’est là qu’elle pourrait se manifester.

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Il existe une autre option pour favoriser la concurrence dans le secteur canadien des télécommunications : obliger les grands opérateurs à partager leur réseau sans fil avec des tiers. Le CRTC se penche justement sur cette idée de favoriser ce qu’on appelle les « opérateurs de réseau mobile virtuels ».

L’idée est la même que pour l’internet filaire, où des entreprises comme EBox ou Distributel surfent déjà sur les réseaux des autres pour offrir des services souvent moins chers aux consommateurs.

Faut-il obliger un tel partage ? Miser plutôt sur un quatrième joueur ? Ou faire les deux ? Au fédéral de voir.

Mais on voit mal comment il pourrait dire oui à la transaction Shaw-Rogers pendant que le CRTC ferme la porte aux opérateurs de réseau mobile virtuels. Ce serait envoyer le signal au marché qu’il peut faire ce qu’il veut… au détriment des consommateurs.

Aujourd’hui, avoir une connexion internet et un forfait cellulaire performants n’est plus un luxe, mais un service essentiel. C’est d’autant plus vrai que la pandémie a forcé des millions de personnes à faire du télétravail.

Mais être connecté coûte trop cher aux Canadiens. Et la transaction Rogers-Shaw est l’inverse du remède qu’il nous faudrait. Au fédéral de dévoiler sa médecine.

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