Roger Taillibert a été un grand architecte français. Mais à Montréal, il fut une époque où il était à peu près autant le bienvenu que la reine d’Angleterre dans un congrès de la Société Saint-Jean-Baptiste.

Il y avait certes une part d’injustice là-dedans. Il reste qu’on n’a jamais pardonné à cet homme le Stade olympique, ses problèmes de toit récurrents, ses dépassements de coûts. M. Taillibert est devenu le bouc émissaire d’un mécontentement collectif, d’un sentiment qu’on s’était « fait avoir ».

La situation est évidemment différente, mais la Caisse de dépôt et placement du Québec aurait aujourd’hui intérêt à se demander quelle image elle veut laisser à Montréal avec le REM et le REM de l’Est. Il n’y a pas une semaine sans que la grogne et les inquiétudes entourant ces deux projets ne soient étalées dans les médias.

Comme le Stade, ces infrastructures feront partie de la signature visuelle de Montréal pendant des décennies. Les habitants les auront devant les yeux au quotidien, pendant des générations.

Les célébrerons-nous comme un symbole d’efficacité et de progrès ? S’intégreront-elles dans la trame urbaine au point où on les oubliera ? Ou deviendront-elles des emblèmes qu’on aimera détester… et qui seront irrémédiablement associés au nom de la Caisse ?

Il est trop tôt pour le dire. Mais il est loin d’être trop tôt pour y réfléchir. La Caisse joue une partie de sa réputation avec les pylônes, les rails et les caténaires qu’on s’apprête à installer dans la métropole québécoise. Tant chez nous qu’à l’international.

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Vous connaissez les « critères ESG » ? Dans le monde de l’investissement, c’est le sujet dont tout le monde parle. Il s’agit des dimensions environnementales (E), sociales (S) et de bonne gouvernance (G) que doivent respecter les entreprises et ceux qui les financent.

La Caisse est reconnue comme un leader mondial dans ce domaine. L’institution a même joué un rôle actif dans le fait que Montréal accueillera bientôt un bureau de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), une organisation qui établira les normes à ce sujet. C’est à saluer.

Mais avec le REM, la Caisse réalise qu’il est plus facile de respecter les critères ESG comme investisseur que comme développeur de projet. L’institution assure respecter ces normes dans le cas du REM. Mais on peut quand même se demander si, ici, les bottines suivent bien les babines.

La firme McKinsey définit la dimension sociale des critères ESG comme « les relations, et la confiance que ces relations nourrissent, avec les gens et les institutions appartenant aux communautés dans lesquelles une firme fait des affaires ».

Pour évaluer le respect de ce critère par la Caisse, il faut donc prendre le pouls de la communauté et évaluer sa confiance envers l’institution. D’un strict point de vue objectif, on n’a pas le choix de constater que ça accroche.

Il est bien sûr inévitable que des projets de l’ampleur du REM et du REM de l’Est suscitent une certaine opposition. Sauf qu’ici, on dépasse le syndrome du « pas dans ma cour ». On ne parle pas seulement de citoyens directement touchés par les inconvénients des trains qui opposent leur bien-être personnel à l’intérêt collectif.

Des firmes d’architectes ont refusé d’être associées au REM de l’Est. Des experts dénoncent le choix d’une structure surélevée au centre-ville, le tracé qui cannibalise la ligne verte, le manque d’intégration des stations dans les quartiers. Des élus et des citoyens manifestent leur inquiétude.

Quand la Caisse nous dit qu’il est impossible de percer un tunnel sous le centre-ville ou d’installer des caténaires plus élégantes au-dessus des trains, on ne sait plus si ça veut dire que c’est réellement impossible, ou simplement que ça ne rentre pas dans le modèle concocté par l’institution pour obtenir le rendement souhaité. Ça montre à quel point la confiance est ébranlée.

La Caisse a un grand mérite : celui de faire avancer les projets. Il suffit de penser à l’interminable saga du prolongement de la ligne bleue du métro pour le constater. Mais c’est en faisant preuve de transparence qu’elle regagnera la confiance. En acceptant, surtout, de faire évoluer ces projets en fonction des critiques externes.

Rappelons que la Caisse, aussi puissante soit-elle, n’est pas à l’abri des erreurs. On se souvient de la déconfiture du papier commercial, qui lui a fait perdre des milliards en 2008.

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En finance, les critères ESG ne servent pas qu’à rendre le monde meilleur. Ils sont utilisés pour évaluer les risques. Avec le REM, la Caisse court ce que les administrateurs appellent un « risque réputationnel ». Surtout si elle veut faire de ce projet une vitrine et reproduire le modèle ailleurs dans le monde.

L’intérêt de la Caisse passe donc directement par celui des Montréalais et des Québécois. Et l’inverse est vrai. La Caisse, après tout, c’est nous. Son rendement est celui de nos fonds de retraite. Ses succès et ses échecs sont les nôtres.

Tout le monde a donc intérêt à ce que le REM soit un succès dont on soit fier. Si la Caisse le comprend, il est temps de le montrer.

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