Thomas Trudel est mort, assassiné à quelques pas de sa maison. Sa famille est détruite, ses amis sont en deuil, son quartier est sur les dents. Deux autres jeunes, Meriem Boundaoui et Jannai Dopwell, ont été tués à Montréal depuis le début de l’année.

On parle beaucoup du contrôle des armes à feu depuis quelques jours. On exige aussi des sanctions plus sévères. Ce sont d’excellentes pistes de solution qu’il faut implanter sans tarder. Et qui, espérons-le, ne feront pas l’objet d’une autre chicane entre Québec et Ottawa. Il y a des vies en jeu.

Mais ces solutions ne seront pas suffisantes. Mardi dernier, le chef du Service de police de Montréal, Sylvain Caron, a lancé un cri du cœur : Pourquoi les jeunes se procurent-ils des armes ?

C’est la question qu’on doit se poser aujourd’hui.

Les spécialistes qui ont une connaissance du terrain nous suggèrent une première réponse : les jeunes hommes se procurent des armes d’abord pour se protéger. Un fusil ou un couteau leur apporte un sentiment de sécurité. Ils s’arment, de peur que d’autres jeunes, armés eux aussi, ne les attaque. C’est l’œuf ou la poule.

On revient donc à la question de départ. Qu’est-ce qui attire les jeunes hommes dans des univers qui glorifient les armes et la violence ? Comment remplacer les modèles néfastes par des images plus positives de la masculinité et de la virilité ? Tout le monde aimerait une solution qui se résume en un paragraphe. Mais la réalité est plus complexe.

Ce qu’on sait, c’est qu’il faut commencer par cibler les jeunes en difficulté. Or les programmes qui leur sont destinés manquent de moyens. Sur le terrain, des organismes communautaires consacrent trop d’énergie à chercher du financement alors qu’ils doivent s’occuper des jeunes. Un financement stable et récurrent leur permettrait de garder leur personnel et d’accomplir leur travail plutôt que de remplir des formulaires.

Les groupes communautaires sont un rouage crucial dans la lutte contre la violence des jeunes. Mais ce n’est pas le seul. Pour qu’une intervention donne des résultats, il faut tisser une toile, impliquer les parents, les enseignants et les leaders de la communauté.

Plusieurs études se sont penchées sur l’efficacité des programmes de prévention. Dans une de ces études*, réalisée aux États-Unis, on observe qu’une approche ciblée impliquant tous les acteurs du milieu donne des résultats probants. C’est écrit noir sur blanc, statistiques à l’appui.

Lisez l’étude sur les programmes (en anglais)

La police fait bien sûr partie de l’équation. Mais il faut réfléchir aux modalités de l’intervention avant d’inonder un quartier de patrouilleurs. La présence policière doit être planifiée de concert avec le milieu pour ne pas avoir l’effet contraire à celui recherché. Mal déployée, elle pourrait amplifier le sentiment d’insécurité en envoyant le message que le quartier est dangereux. Et donc, inciter les jeunes à s’armer davantage.

La même étude montre aussi qu’il faut approcher les jeunes en difficulté avec une vision large. Dans quel milieu vivent-ils ? Y a-t-il des conditions d’abus ou de violence familiale ? Des problèmes de délinquance ou de criminalité dans la fratrie ? Bref, il faut considérer l’ensemble du portrait pour mieux entourer le jeune et lui offrir les services adéquats. Dans un monde idéal, on suit le jeune vulnérable pas à pas. Et on ne le lâche pas.

Or pour y arriver, il faut mettre autant d’argent dans la prévention que dans la répression. Qui aura le courage politique de le faire ? Pour l’instant, les investissements sont déséquilibrés. Presque tout l’argent est dirigé vers la répression, plus visible et spectaculaire. L’éducation et la prévention agissent en sous-terrain et elles prennent du temps. Mais leur impact dure plus longtemps.

Parallèlement aux programmes qui visent les jeunes en difficulté, il faut redonner aux gens des quartiers les plus défavorisés de Montréal un sentiment de fierté, les inonder de beau, de vert, d’installations sportives et d’infrastructures culturelles.

Ce n’est pas en disant qu’on ne reconnait plus Montréal, comme l’a déclaré le premier ministre François Legault, qu’on aidera les communautés aux prises avec la violence. C’est en leur donnant les moyens de faire face à la situation. Les gens de Saint-Michel (et de Montréal-Nord et de Côte-des-Neiges) n’ont rien à faire de notre jugement ou même de nos larmes. Ils ont besoin de notre soutien financier et logistique. Ils ont besoin de savoir qu’ils ne sont pas seuls pour régler tous les problèmes.

On dit que ça prend un village pour élever un enfant. C’est d’autant plus vrai quand un enfant est susceptible de tomber. Parce qu’une communauté est aussi forte que son citoyen le plus faible.

Ce samedi, le Forum jeunesse de Saint-Michel organise une marche de mobilisation dans les rues du quartier. Ce serait tout un signal si des élus de tous les horizons politiques y participaient. Ce signal serait encore plus fort si des parents de partout – Outremont, Brossard, Laval, Dorval – se joignaient à eux. Solidaires des parents du jeune Thomas Trudel, bien sûr. Mais aussi de toutes les familles qui ont besoin de savoir que nous serons là pour elles. Que leur enfant se nomme Thomas, Meriem ou Jannai.

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