L’est de Montréal est un vaste territoire, un patchwork de réalités diverses : des terrains d’anciennes raffineries à décontaminer, des friches industrielles, des quartiers vulnérables, un village olympique, des espaces verts, des berges du Saint-Laurent… Les défis sont nombreux.

Ce n’est pas un hasard si cette portion de l’île de Montréal est l’objet de plusieurs promesses depuis le début de la campagne à la mairie. Denis Coderre rêve d’en faire la « nouvelle Silicon Valley », Valérie Plante parle du « pivot de la nouvelle économie ». Des formules qui frappent l’imaginaire…

Le développement de l’Est a en outre le potentiel de répondre à plusieurs enjeux brûlants : offrir du logement sur l’île, attirer des pôles d’innovation technologique, valoriser de grands espaces verts, améliorer l’accès au fleuve… Ce ne sont pas les idées qui manquent et sur le terrain, tous les acteurs socio-économiques sont mobilisés et gonflés à bloc. Ils ne sont pas les seuls à rêver.

Dans son livre Cap sur un Québec gagnant : le projet Saint-Laurent, paru en 2013, bien avant qu’il ne devienne premier ministre, François Legault faisait référence à cet eldorado montréalais. Il écrivait : « Je fais le rêve, pour l’Est de la ville, du développement d’un nouvel espace urbain constitué de bâtiments innovateurs et de belle architecture, avec des espaces verts, des parcs et des pistes cyclables. J’y verrais un lieu idéal pour créer une zone d’innovation capable d’accueillir des industries de pointe […] »

Mais, car, il y a un mais, ce développement ne peut se faire sans un projet de transport collectif véritablement structurant. Objectif : développer, on l’a dit, mais aussi désenclaver des quartiers et permettre aux résidants de l’Est de se déplacer sur l’Île pour étudier, travailler, se divertir…

En boutade, on dit qu’un étudiant de Pointe-aux-Trembles met moins de temps à se rendre à l’Université de Trois-Rivières qu’à celle de Montréal. C’en est presque absurde.

Les résidants de l’Est sont patients. Depuis 15 ans, on leur a fait miroiter un service rapide par bus sur Pie-IX (il s’en vient), le prolongement de la ligne bleue (on en parle depuis plus de 20 ans) et un éventuel tramway sur la rue Notre-Dame (l’idée a été écartée depuis). Mais aujourd’hui, tout le monde n’en a plus que pour le REM de l’Est, un projet sur lequel les premiers concernés n’ont pas beaucoup de contrôle.

Était-ce le meilleur choix ? C’est loin d’être certain. Les critiques sont nombreuses et pas seulement pour l’aspect architectural du futur REM ou pour son coût. En coulisses, on s’entend pour dire qu’on a mis les rails avant les bœufs. Malgré cela, sur le terrain, la plupart des acteurs semblent s’être ralliés à l’idée parce que pour une fois, voilà un projet qui a des chances d’aboutir.

Or un projet de cette envergure, avec tous ses impacts, doit être réfléchi et planifié en amont. Un plan de développement et d’aménagement, c’est ce qui fait la différence entre un quartier qui pousse tout croche – pensons à Griffintown – et un quartier qu’on a réfléchi – pensons au Technopôle Angus.

Si on avait déjà un vrai plan pour l’Est, on n’aurait peut-être pas assisté, impuissants, à la vente d’une partie des anciens terrains de Shell au géant Amazon, qui prévoit la construction d’un immense entrepôt – des emplois peu intéressants et une circulation accrue de camions – et de 1100 places de stationnement.

Si on avait un déjà un plan pour l’Est, on n’aurait peut-être pas laissé Ray-Mont Logistiques planifier l’ouverture d’un centre de transbordement à quelques mètres d’une coop d’habitation.

Voilà le défi qui attend le prochain maire ou la prochaine mairesse.

L’Est est un beau casse-tête qu’il faut développer avec doigté. On n’intervient pas de la même façon sur une friche industrielle que dans un quartier habité par des humains. Et pour ça, il faut une vision précise de ce qu’on souhaite faire.

Dans son livre, François Legault, enthousiaste, citait, en exemple le quartier 22@ à Barcelone qui a inspiré à l’époque, et avec plus ou moins de succès, les promoteurs du quartier de l’Innovation, autour de l’ETS, dans Griffintown. Le quartier de Poblenou, décrit comme « un champ de ruines industrielles », a été transformé en véritable secteur d’innovation technologique où on trouve aussi des zones résidentielles, des espaces verts, des services et un souci pour la préservation du patrimoine. Or, pour que de telles visions se concrétisent, il faut une intervention humaine, un développement urbain planifié, insiste M. Legault dans son livre. Il a tout à fait raison.

On entend l’impatience des gens de l’Est qui ont toutes les raisons de piaffer. Ils ont l’impression d’avoir été trop longtemps délaissés, que leur tour est enfin venu. On les comprend.

Mais cette partie de l’île de Montréal a droit à un développement digne du XXIsiècle. Quitte à ralentir les ardeurs de CDPQ Infra et de Québec pour prendre le temps de concevoir un aménagement qui tiendra la route. Pour qu’un jour, le futur premier ministre d’un autre pays écrive dans un livre : « Je suis allé à Montréal, j’ai vu ce qu’ils avaient fait avec l’Est de la ville, et c’est un modèle dont on devrait s’inspirer. »

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