Obliger les gens à recevoir une aiguille dans le bras sous peine de perdre leur chèque de paie est la mesure de dernier recours dans une stratégie de vaccination. Celle qu’on brandit quand on a essayé tout le reste.

En est-on rendu là au Québec ?

La commission parlementaire qui s’est penchée sur la question lors des derniers jours aura montré une chose : le sujet est délicat et les avis, très divisés.

Pour le réseau de la santé, nous avons déjà exprimé notre position : on ne peut plus attendre. Un soignant est là pour soigner, pas pour rendre malade. Le ministère de la Santé et des Services sociaux estime qu’il reste encore entre 50 000 et 70 000 employés du réseau non vaccinés en contact avec des patients. Ces gens menacent directement la santé et la vie de malades vulnérables qu’ils sont censés aider. C’est inadmissible.

Il est grand temps de placer cette minorité de récalcitrants devant un choix. Soit vous acceptez le vaccin, soit vous restez chez vous sans être payé. C’est la confiance des Québécois dans leur réseau de la santé qui est en jeu.

Les associations de médecins ont par ailleurs raison de dire que l’obligation doit dépasser ce qui est actuellement prévu par le gouvernement Legault et toucher tous ceux qui travaillent dans les établissements de santé, qu’ils soient ou non en contact direct avec les patients. Si on n’a pas encore compris que ce virus saute de personne en personne jusqu’à en envoyer une aux soins intensifs, on n’a pas compris grand-chose depuis un an et demi.

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Voilà pour les employés de la santé. Les autres qui sont en contact avec le public ? C’est là que le débat se complique.

Ces gens, on s’entend, devraient tous être vaccinés. Parce qu’ils engendrent un double risque.

Le premier est celui qu’ils posent à eux-mêmes. Les données québécoises montrent qu’ils ont 20 fois plus de chances de se retrouver à l’hôpital à cause de la COVID-19 que les autres. On dira que c’est leur problème – sauf que c’est aussi celui de tout le monde. Les lits qu’ils occupent et les ressources qu’ils mobilisent rendent leur pari personnel très lourd collectivement.

Le deuxième risque est celui de contaminer les autres. En étant huit fois plus susceptibles d’être infectés que les vaccinés, ils deviennent les vecteurs privilégiés du virus et nous empêchent d’en finir avec cette pandémie. C’est terriblement frustrant.

Les éducatrices de garderie et les enseignants du primaire travaillant auprès d’enfants qui ne peuvent recevoir le vaccin suscitent des questions particulières. Dans leur cas, on pourrait très bien obliger la vaccination, en donnant l’option à ceux qui la refusent de subir trois tests par semaine.

Pour les autres, la grande question est : où s’arrête-t-on ? Faut-il aussi serrer la vis au caissier derrière sa vitre ? À l’acteur de théâtre ? Le directeur national de santé publique Horacio Arruda a raison de parler d’un « effet cascade » difficile à baliser.

Surtout, s’il est clair qu’il faut mettre de la pression sur tous les non-vaccinés, il faut se demander si on a épuisé toutes nos munitions pour le faire avant de recourir à la vaccination obligatoire.

Or, ce n’est pas le cas.

Une mesure très contraignante envers les non-vaccinés est sur le point d’être déployée au Québec : le passeport vaccinal. Dès mercredi prochain, ces derniers se verront fermer les portes des restaurants, des bars, des gyms, des cinémas.

Quel sera l’effet de ce premier véritable coup de bâton ? On l’ignore. Mais on aurait intérêt à le vérifier avant d’en rajouter une couche. Sinon, ça revient à court-circuiter le passeport vaccinal.

Entre-temps, on pourra apprendre de l’expérience de la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé. Et observer les initiatives d’employeurs qui, comme Air Canada, ont aussi décidé d’obliger leurs employés à se faire vacciner.

Ne pas élargir dès maintenant la vaccination obligatoire ne veut surtout pas dire qu’on ne peut pas la préparer – et le faire savoir haut et fort. Si le passeport vaccinal échoue à faire grimper le taux de vaccination, on sera alors prêt à la déployer.

Partout dans le monde, les autorités sont réticentes à priver les non-vaccinés du droit de travailler. Obliger la vaccination hors du réseau de la santé, sans donner l’option aux non-vaccinés de subir des tests de dépistage réguliers à la place, est très rare. Une recension de l’Agence Reuters ne mentionne que la Micronésie, les îles Fidji, le Turkménistan, l’Arabie saoudite, la ville de Moscou et celle de Denver.

Lisez l’article de Reuters (en anglais)

Nous sommes tous impatients de voir le Québec s’approcher de l’immunité collective. Mais il arrive qu’en faisant les choses par étapes, on atteigne l’objectif plus efficacement que si on les précipitait.

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