Le moment peut sembler mal choisi pour aborder, avec les nuances qui s’imposent, la question sensible de l’avenir de la statue de John A. Macdonald à Montréal.

L’horreur des pensionnats nous saute au visage plus que jamais auparavant. Leur sombre héritage déchaîne les passions, avec raison.

Et John A. Macdonald en a été l’un des architectes. Son gouvernement a mis sur pied ce système.

Il n’est pourtant pas inutile de débattre du sort de cette statue – déboulonnée et décapitée l’été dernier – en préférant la raison à la passion.

Bien sûr, déboulonner une statue est un formidable exutoire.

Pourtant, en l’arrachant de son socle, on ne s’attaque pas aux racines du problème.

C’est plutôt comme si le commandant d’un navire se contentait d’utiliser une scie mécanique pour trancher le pic d’un iceberg qui l’empêche d’avancer.

John A. Macdonald n’est pas un obscur député d’arrière-ban. L’affaire serait vite réglée s’il n’avait joué qu’un rôle mineur dans l’histoire canadienne. Or, il est l’un des pères fondateurs du pays.

On doit se réjouir de voir qu’on aborde aujourd’hui sans pudeur les atrocités commises en son nom. Mais faire abstraction du reste de son héritage est-il pour autant acceptable ?

Méfions-nous de notre tendance à interpréter le passé avec nos yeux d’aujourd’hui, guidés par le contexte social de notre époque. L’exercice doit être mené avec prudence.

Aussi, si on estime qu’on devrait rayer toute référence à John A. Macdonald dans l’espace public du jour au lendemain, peut-on en toute conscience penser que d’autres politiciens canadiens méritent qu’on honore leur mémoire ?

Probablement pas.

Car le génocide culturel dont ont été victimes les autochtones, les successeurs de John A. Macdonald l’ont cautionné.

Le gouvernement canadien a même publié un Livre blanc s’inscrivant dans cette logique pas plus tard qu’en 1969. Pierre Elliott Trudeau était premier ministre et Jean Chrétien, son ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

L’historien américain Howard Zinn plaidait pour une « approche éthique de l’histoire » et déplorait qu’on passe trop souvent sous silence le côté obscur des personnages historiques.

Que si l’on parle de Christophe Colomb, par exemple, on omet généralement d’aborder le sort qu’il a réservé aux peuples autochtones.

Mais Howard Zinn ne prônait pas pour autant le retrait des statues de l’explorateur.

« L’important n’est pas tant ces artefacts. L’important est de dire la vérité. J’aimerais conduire des jeunes gens devant la statue de Colomb, non pour la faire tomber, mais pour leur proposer : “Maintenant, je vais vous dire la vérité sur Christophe Colomb" », a-t-il déjà déclaré. 1

Alors comment dire la vérité sur John A. Macdonald ?

Si on effaçait toute trace de ce politicien de l’espace public, on s’en éloignerait, vraisemblablement.

Entendons-nous : la statue de John A. Macdonald ne peut pas revenir sur la place du Canada sans que rien ne change.

Le statu quo est intenable.

Mais on peut la boulonner de nouveau… autrement.

On peut expliquer au lieu de renier.

On peut remettre le tout premier premier ministre du pays sur son socle, mais prévoir une plaque où l’on expliquerait noir sur blanc les atrocités qu’on lui reproche. On pourrait aussi carrément ajouter à côté de sa statue un autre monument, celui-là pour commémorer la mémoire autochtone.

L’histoire a toujours été écrite par les gagnants. L’idée serait de donner aux autres, enfin, voix au chapitre.

Montréal vient de mener des consultations pour se doter d’un cadre d’intervention en reconnaissance. On s’en servira pour décider qui l’on commémorera à l’avenir, mais une partie portera également sur l’évaluation d’une reconnaissance existante.

Voyons voir quel sort on réservera, selon ces nouvelles lignes directrices, à John A. Macdonald et aux autres politiciens dont les statues créent actuellement un malaise (récemment, l’ex-sénateur Serge Joyal montrait du doigt le monument de Maisonneuve, à la place d’Armes, et celui de Dollard des Ormeaux, au parc La Fontaine).

Il est bon, cela dit, de savoir qu’on ne prend pas ce genre de décision à la légère. Qu’on prend le temps d’y réfléchir et de se concerter.

On dit souvent que l’histoire est un dialogue entre le présent et le passé. Mais si on efface ce dernier, il est grand, le risque de se condamner à un dialogue de sourds.

1 Dans un recueil d’entretiens intitulé Le pouvoir des oubliés de l’histoire, paru l’an dernier chez Agone

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