Vous tentez d’acheter une propriété à Montréal et trouvez les prix trop élevés ?

Prenez une grande respiration avant de continuer à lire. Et tentez de rester zen.

Depuis 16 ans, la Ville de Montréal force certains promoteurs immobiliers (les projets d’au moins 100 unités nécessitant des changements de zonage) à construire 15 % de logements abordables (et aussi 15 % de logements sociaux, mais c’est un autre sujet). On a ainsi construit 6690 logements abordables privés.

Le problème, ce sont certains des acheteurs qui mettent la main sur ces logements abordables, révèle une enquête du journaliste Dominique Cambron-Goulet, du Journal de Montréal1.

Car… n’importe qui peut acheter ces logements à bas prix ! Des investisseurs étrangers qui spéculent. Un médecin spécialiste qui achète des unités pour ensuite les louer plus cher que le seuil d’abordabilité des loyers. Les promoteurs et leur famille.

L’exemple le plus frustrant : les condos Noca dans Griffintown, où 15 des 48 logements abordables ont été achetés par des investisseurs chinois. Et ce n’est pas tout : le fondateur du promoteur DevMcGill y a acheté trois condos abordables avec sa fiducie pour ses enfants (il les loue entre-temps). « Quand ils vont aller à l’université, je vais leur transférer et ils pourront l’habiter. Je pense que ça entre vraiment dans l’esprit du programme. Ils vont avoir accès à un logement, et c’est une bonne façon de partir dans la vie », a dit Stéphane Côté au Journal de Montréal.

Il y a vraiment des limites à prendre les gens pour des naïfs. Après ça, certains promoteurs immobiliers se demandent pourquoi ils ne sont pas toujours pris au sérieux dans les débats publics…

On peut rager en pensant à ces exemples d’acheteurs qui n’avaient (vraiment) pas besoin de logements abordables, mais le vrai problème était ailleurs. À la Ville de Montréal.

Pendant des années, la Ville obligeait des promoteurs à construire 15 % de logements abordables dans certains projets. Elle contrôlait le prix de ces logements, mais pas à qui les promoteurs les vendaient. Elle faisait confiance aux promoteurs. Le programme était-il efficace ? Rejoignait-il les nombreux Montréalais qui n’ont pas accès à la propriété ? La Ville ne le savait tout simplement pas.

Heureusement, Montréal vient de fermer le bar ouvert pour spéculateurs et fils à papa.

Avec son règlement « 20-20-20 » et son programme pour une métropole abordable adoptés en avril dernier2, la Ville oblige tous les promoteurs de projets de plus de 50 unités à financer du logement abordable. Les projets situés dans des zones où les changements de zonage font augmenter la valeur du projet sont obligés de consacrer de 10 % à 20 % de leur projet aux logements abordables. Les autres promoteurs font une contribution financière à la Ville pour qu’elle finance des projets de logements abordables avec Québec et Ottawa.

Au contraire des anciennes règles, la Ville cible clairement qui pourra bénéficier des logements abordables construits par les promoteurs : un premier acheteur ou une famille dont le revenu annuel est inférieur à 3,5 fois le prix de vente (ex. revenu inférieur à 71 000 $/an pour un logement abordable de 250 000 $). Les acheteurs devront obligatoirement l’utiliser comme résidence principale. Pas le droit de le louer. Pas le droit d’en acheter plus d’un. On exclut aussi les non-résidants québécois (désolé, spéculateurs étrangers).

Depuis 16 ans, la Ville établissait le prix des logements abordables (ex. 250 000 $ pour un logement avec une chambre, 280 000 $ pour deux chambres, 360 000 $ pour trois chambres). Dorénavant, Montréal et le promoteur fixeront le prix initial d’un logement abordable à 90 % de sa valeur marchande selon un évaluateur.

Un excellent rempart contre les abus : la Ville contrôlera désormais le prix de revente de ces logements abordables, qui sera plafonné à une hausse de valeur de 3 % par an. Au départ, le premier acheteur paiera 80 % du prix initial du logement abordable, Montréal paiera 10 % au promoteur, et le promoteur fera un rabais de 10 %. Le logement pourra être revendu seulement à un autre acheteur qui se qualifie. Sinon, la Ville exercera son droit de premier refus et trouvera un acheteur qui se qualifie. On devrait donc créer un registre pour les acheteurs intéressés.

Ces logements continueront ainsi d’être abordables pour les acheteurs suivants, sur une période de 30 ans. Personne ne fera de coup d’argent en revendant. Ce n’est pas l’objectif du programme.

On veut plutôt créer une nouvelle catégorie du marché immobilier, quelque part entre le logement social et le marché privé soumis à la loi de l’offre et de la demande.

C’est bien mieux que l’ancien système qui, par son laxisme, pouvait favoriser autant les spéculateurs chinois que la famille des promoteurs.

1 Lisez l’enquête du Journal de Montréal

2 Le règlement a été adopté en avril dernier, mais ces nouvelles règles s’appliqueront seulement sur les projets déposés à la Ville après avril 2021.

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