C’est fait. Après un mandat marqué par les scandales de Julie Payette, nous avons une nouvelle gouverneure générale au Canada.

Elle s’appelle Mary Simon. Elle est inuite. Elle a une feuille de route impressionnante.

On s’imagine que cette femme exceptionnelle passera désormais ses journées à remettre des médailles, à boire du thé et à lire des discours écrits par d’autres.

Bref, que sa vie sera si régie par des conventions d’un autre siècle qu’elle deviendra cérémoniale, vaine, vaguement ridicule.

Est-ce vraiment comme ça que ça doit se passer ? Ou Mary Simon pourrait-elle faire réellement progresser certains enjeux, dont l’essentiel processus de réconciliation en cours avec les autochtones ?

La deuxième option est possible. La fonction de gouverneur général, mal comprise, donne à Mme Simon une liberté et une influence sous-estimées. À elle maintenant de les utiliser pour faire avancer les causes qu’elle a toujours défendues et qui sont plus d’actualité que jamais.

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On le sait, l’expression « gouverneure générale » vous fait sans doute grimacer comme si vous veniez de mordre dans un citron. On vous comprend.

La fonction est effectivement entourée de plusieurs aspects irritants. Il y a cette pension à vie de 150 000 $ par année puisée à même les poches des contribuables. Les écarts de conduite occasionnels, que Julie Payette a malheureusement remis au premier plan avec ses coûteuses rénovations à Rideau Hall et le climat toxique qu’elle y a instauré.

Et il y a la nature anachronique de la fonction, qui lie le Canada à la monarchie britannique comme un embarrassant cordon ombilical qu’on rêve de couper même si c’est compliqué.

La nomination de Mary Simon ajoute un élément irritant à ceux-là. Le fait a été abondamment souligné : elle ne parle pas français. Alors même que Justin Trudeau met de l’avant une nouvelle vision du bilinguisme et veut l’imposer aux juges de la Cour suprême, c’est gênant. Pour un poste aussi ancré dans les symboles que celui de gouverneur général, celui-là fait mal.

Mme Simon a promis d’apprendre la langue de Réjean Ducharme. Donnons la chance au coureur. C’est loin d’être évident de maîtriser une langue en quelques années, mais d’autres l’ont fait. Michael Ferguson, dont la nomination au poste de vérificateur général avait été dénoncée parce qu’il n’était pas bilingue, avait par exemple confondu les sceptiques.

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Cela étant dit, les choses ne sont jamais ni noires ni blanches. Notre première gouverneure générale autochtone arrive à point nommé. Son bagage la prépare admirablement à cette fonction. Et le poste qu’elle occupe peut s’avérer moins accessoire qu’on le pense.

Au Canada, le pouvoir exécutif est confié au premier ministre. La gouverneure générale, elle, est la cheffe d’État. Elle incarne non pas le pouvoir, mais l’autorité. Cette division est très courante dans les démocraties occidentales, sous différentes formes, de l’Allemagne aux pays nordiques en passant par la Nouvelle-Zélande.

Ça n’entraîne pas que des inconvénients.

On reproche souvent à nos politiciens de se laisser entraîner par les enjeux partisans. Le gouverneur général, par définition apolitique, peut s’élever au-dessus de la mêlée et se servir de son autorité pour lancer des discussions nationales sur des enjeux qui dépassent la joute parlementaire.

Par les gens qu’elle rencontrera, les lieux qu’elle choisira de visiter, les discours qu’elle prononcera, Mme Simon pourra envoyer des messages forts et bien concrets. Un pays ne se change pas seulement à coups de projets de loi. L’évolution des mentalités compte aussi. En Finlande, avec un rôle qui n’est pas si différent de celui de notre gouverneure générale, l’ex-présidente Tarja Halonen avait par exemple développé l’aura d’une rock star. Et fait grandement progresser les enjeux d’égalité et de féminisme.

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Cessons finalement de croire que notre gouverneure générale est une sorte de pantin de la reine d’Angleterre. Certes, la Constitution tisse un lien entre la fonction et la monarchie. Mais dans les faits, la reine et la gouverneure ne se parlent presque jamais. Et, quand elles le font, elles ne discutent même pas d’affaires canadiennes. Un gouverneur général a donc tout le loisir de s’impliquer dans la société et de choisir ses combats.

John Buchan avec la littérature, Vincent Massey avec la culture, Roméo LeBlanc avec le bénévolat, Adrienne Clarkson avec les relations internationales : l’histoire compte plusieurs gouverneurs généraux qui ont su utiliser leur fonction pour soutenir des causes. Et c’est tant mieux.

La découverte de centaines de corps dans les pensionnats autochtones provoque actuellement une rare prise de conscience pancanadienne. Par l’autorité qu’elle incarne, Mary Simon peut jouer un rôle important dans cette discussion.

Si elle utilise bien les leviers à sa disposition, elle pourrait même finir par faire parler de la gouverneure générale… pour de bonnes raisons !

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