Le ministère de l’Immigration du Québec, face au défi de la francisation des nouveaux arrivants, ressemble généralement à Martin Matte devant un meuble IKEA.

Ses intentions sont bonnes, mais ça se gâte lors de l’exécution.

C’est un peu comme sur l’enjeu de la régionalisation de l’immigration : il y a un consensus au Québec quant à la nécessité d’améliorer notre performance, mais on n’a jamais véritablement trouvé comment y parvenir.

Il faut donc applaudir les idées contenues dans le projet de loi 96 pour ce qui est de la francisation… mais non sans se garder une petite gêne.

Car le diable, comme on le dit souvent, est dans les détails. Le succès de la réforme dépendra de sa mise en œuvre sur le terrain.

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« Pendant de trop nombreuses années, on accueillait plus d’immigrants au Québec alors qu’on laissait fondre les sommes allouées à la francisation », fait remarquer notre éditorialiste.

Et disons-le : les résultats obtenus par le ministère de l’Immigration au cours des dernières décennies ont de quoi nous inquiéter. Il y en a eu d’autres, de bonnes idées et des rapports. En vain…

La bonne nouvelle, c’est que l’attitude du gouvernement n’est plus la même.

Pendant de trop nombreuses années, on accueillait plus d’immigrants au Québec alors qu’on laissait fondre les sommes allouées à la francisation.

Ce n’est plus le cas.

En 2017, le gouvernement libéral a fini par comprendre que la situation était intenable et a annoncé une bonification de l’allocation versée aux immigrants qui suivaient des cours de français à temps plein.

La CAQ a renchéri avec encore plus de vigueur en 2019. On a injecté 70 millions de plus, faisant grimper à 170 millions le budget alloué à la francisation.

Cet argent a permis d’élargir les critères d’accessibilité, si bien que les étudiants étrangers, les travailleurs temporaires et les immigrants au Québec depuis plus de cinq ans peuvent maintenant en bénéficier. Et on a revu à la hausse l’allocation pour les étudiants à temps plein et prévu une somme pour les étudiants à temps partiel.

Bref, si Simon Jolin-Barrette a pris certaines mauvaises décisions lorsqu’il était à la tête du ministère de l’Immigration (la réforme du Programme de l’expérience québécoise, par exemple), il en a pris de bonnes en matière de francisation.

L’impact est déjà mesurable. Le nombre de personnes inscrites à un programme de francisation est passé de 28 086 en 2017-2018 à 35 358 en 2019-2020. Il a toutefois chuté au cours de la dernière année en raison de la pandémie.

En somme, c’est un bon départ. Mais on est encore loin de la ligne d’arrivée.

Faut-il rappeler que le bureau du vérificateur général a dressé un portrait décapant des services de francisation en 2017 ?

« Seulement le tiers des personnes immigrantes admises au Québec de 2010 à 2013 qui ont déclaré ne pas connaître le français au moment de leur admission ont participé à des cours de français offerts par le ministère de l’Immigration », avait-on alors appris.

Et seule une petite minorité de ces immigrants arrivaient à atteindre un « seuil d’autonomie langagière » grâce à ces cours, tant à l’oral qu’à l’écrit.

Parmi les solutions proposées par le bureau du VG : la création d’un guichet unique pour la francisation.

Cette initiative se retrouve aujourd’hui au cœur du projet de loi 96.

On souhaite créer, au sein du ministère de l’Immigration, une unité administrative appelée Francisation Québec. Ce serait « l’unique point d’accès gouvernemental pour les personnes souhaitant recevoir des services d’apprentissage du français ».

Y parvenir, ce serait mettre fin à l’éparpillement et au manque de coordination entre les différents ministères concernés par la francisation.

Mais un guichet unique, ce n’est pas non plus une baguette magique.

Il faudra aussi se pencher sur la qualité du programme de francisation et trouver le moyen de l’améliorer. Comme, d’ailleurs, sa performance (le ministère affirme que c’est en train de se faire et que 60 % des immigrants débutants atteignent maintenant des compétences de stade intermédiaire en trois ans).

Enfin, il est urgent de convenir d’objectifs clairs et de façons de les mesurer.

D’autant plus que le premier ministre Legault semble se soucier ces jours-ci davantage du profil économique des immigrants que de leur maîtrise du français.

Et comme le Parti québécois le souligne dans son récent « plan d’urgence pour la langue française », on accueille maintenant au Québec, sur une base annuelle, un plus grand nombre d’immigrants qui ne maîtrisent pas le français au point d’entrée « que durant les gouvernements de Jean Charest et de Philippe Couillard ».

D’où le caractère fondamental de la réforme annoncée. Dans ce contexte, un demi-succès en francisation serait périlleux.

Insistons : il y a en ce qui concerne cet enjeu fondamental, plus que jamais, une obligation de résultat.

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