Imaginez un peu que les Maple Leafs de Toronto puissent jouer leurs matchs contre le Canadien à six joueurs contre trois. Ça augurerait bien mal pour Montréal…

Eh bien, six contre trois, c’est actuellement la répartition des juges à la Cour suprême des États-Unis.

Les juges conservateurs sont en surnombre.

Il ne reste, depuis le passage de Donald Trump à la Maison-Blanche, que trois juges généralement décrits comme progressistes.

Ça augure bien mal, par conséquent, pour le droit des femmes à l’avortement.

PHOTO JACQUELYN MARTIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Manifestation pro-choix devant la Cour suprême des États-Unis, en mars 2020

La Cour suprême vient d’accepter de se pencher sur cet enjeu pour la première fois depuis que l’ex-président républicain a pu y nommer trois juges qui ont modifié son équilibre.

Les opposants à l’avortement sont très, très enthousiastes. Ils espèrent carrément que le tribunal en profitera pour renverser l’arrêt Roe contre Wade. Celui qui, au début des années 1970, a légalisé la procédure pour l’ensemble du pays.

Chose certaine, les magistrats seront tentés de limiter le droit à l’avortement pour les femmes du pays.

Ils vont examiner une loi instaurée en 2018 par l’État du Mississippi, interdisant la plupart des avortements à partir de la 15e semaine de grossesse. Cette législation avait rapidement été invalidée à l’époque, après avoir été contestée par des défenseurs du droit à l’avortement.

C’est qu’en vertu des verdicts rendus par la Cour suprême au cours des dernières décennies, l’avortement est légal jusqu’au moment où le fœtus est jugé viable, ce qui correspond à environ 24 semaines.

Or, si les juges du plus haut tribunal du pays ont annoncé qu’ils vont se prononcer sur la cause du Mississippi, on peut penser qu’ils trouveront à tout le moins à redire au sujet du seuil de viabilité.

Les femmes, d’une façon ou d’une autre, risquent donc de perdre cette nouvelle bataille.

Peut-être pas sur toute la ligne, mais le mouvement antiavortement pourrait réussir à mettre le pied dans la porte.

La stratégie de ses dirigeants : démanteler le droit à l’avortement morceau par morceau, lentement, mais sûrement.

À preuve : la multiplication des restrictions à l’avortement adoptées dans plusieurs États au cours des dernières années. Ce fut récemment le cas au Texas et dans l’Arkansas.

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Les femmes seraient donc, indiscutablement, les grandes perdantes si la Cour suprême décidait de restreindre le droit à l’avortement. Mais le plus haut tribunal des États-Unis, aussi, risque gros.

Si la Cour suprême ose revoir sa position au détriment des femmes, elle minera sa propre légitimité qui, d’ailleurs, est déjà mise en cause.

Le juge en chef, John Roberts, travaille fort pour prouver que son tribunal n’est pas un simple instrument politique dont les membres obéiraient aux présidents qui les ont sélectionnés.

Vous vous en souvenez peut-être : il y a trois ans, il a même osé répliquer à Donald Trump qui avait dénigré une décision juridique en prétextant qu’elle avait été rendue par un « juge d’Obama ».

John Roberts avait livré un vibrant plaidoyer à la défense de l’indépendance judiciaire.

« Nous n’avons pas de juges d’Obama ou de juges de Trump, de juges de Bush ou de juges de Clinton. Ce que nous avons, c’est un groupe extraordinaire de juges dévoués qui font de leur mieux pour faire preuve d’équité envers ceux qui comparaissent devant eux », avait-il soutenu.

Ses collègues se ligueront peut-être pour le faire mentir au cours des prochains mois et des prochaines années, notamment sur la question de l’avortement.

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Si la Cour suprême devait diminuer la portée de l’arrêt Roe contre Wade et des décisions en faveur du droit à l’avortement prises dans la foulée de ce verdict, les républicains aussi risquent gros.

Oui, ça semble contre-intuitif, mais c’est un pacte avec le diable qu’ils ont signé avec la droite religieuse sur la question de l’avortement.

« Si l’avortement redevient un enjeu législatif, toutes les femmes et les hommes pro-choix qui ont voté pour les républicains en pensant que le droit à l’avortement était protégé devraient reconsidérer [leur choix] et plusieurs prendraient le large », a déjà prédit le journaliste américain Michael Kinsley.

Sans oublier que jusqu’ici, l’enjeu de l’avortement est utilisé par les républicains, complices de la droite religieuse, pour mobiliser leurs électeurs.

Et ça marche parce que ces Américains s’estiment victimes d’une injustice.

Ils n’ont jamais digéré l’arrêt Roe contre Wade.

Or, plus le droit à l’avortement sera restreint, plus ce sont les électeurs progressistes qui s’estimeront lésés.

Et plus il sera facile pour les démocrates de transformer ce préjudice en force politique.

Ils sont nombreux – en majorité des républicains, bien sûr –, ceux qui estiment que les États-Unis vivent un psychodrame national depuis l’arrêt Roe contre Wade.

Ils n’ont peut-être encore rien vu…

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