Vous rappelez-vous la dernière année au pouvoir de Denis Coderre ? C’était l’année de la déconnexion, celle où le maire avait perdu contact avec les Montréalais, comme s’il avait fini par manquer de flair politique au terme de son mandat.

Il semblait dans sa bulle, loin du terrain. Il était en colère contre les médias. Et il a forcé dans la gorge des Montréalais un projet de course de voitures électriques en plein centre-ville dont ils ne voulaient pas.

Or, au moment où l’actuelle mairesse entame elle-même sa dernière ligne droite, c’est à se demander si elle n’est pas frappée à son tour par le syndrome de la quatrième année…

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Valérie Plante a beau avoir connu des épisodes difficiles depuis son élection en 2017, jamais elle n’a été aussi critiquée que ces dernières semaines.

Pas sorcier : peu importe ce qu’on lit ou ce qu’on écoute ces temps-ci, la mairesse passe un mauvais quart d’heure.

À la radio et à la télé, on a pu entendre Stéphan Bureau évoquer la « perte de contrôle » d’une ville plongée « dans le chaos », au point de demander à Mme Plante si elle est « toujours l’homme de la situation » ? Paul Arcand s’est permis une montée de lait sentie contre elle et son équipe. Serge Denoncourt était « pompé noir » contre la BD qu’elle a pris le temps d’écrire alors que « Montréal est laide comme aucune ville au monde ». Et à son micro, Richard Martineau a exigé son départ, rien de moins.

À l’écrit, on a pu lire, dans La Presse comme dans Le Journal de Montréal, plusieurs chroniques contre ses voies sanitaires notamment, sans parler des caricatures très dures, comme celle de Chapleau hier. On a aussi pu lire la lettre ouverte d’une cinquantaine de commerçants de la rue Saint-Denis contre la future piste cyclable. Un projet, d’ailleurs, qualifié sur Twitter de « plus mauvaise idée de l’année » par Guy A. Lepage et de totalement « irresponsable durant une pandémie historique » par Simon Olivier Fecteau.

Ouch…

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Certains soutiennent que la mairesse attire ainsi les critiques parce qu’elle est une femme. D’autres croient qu’elle est devenue la tête de Turc de la COVID-19. Et d’autres encore estiment que son arrogance est le problème.

Peut-être. Mais vous permettez une autre lecture ?

Et si Valérie Plante était tout simplement incapable de saisir l’état d’esprit des Montréalais depuis le début de la pandémie ?

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, lors d’une conférence de presse en mai dernier

Elle y a vu un prétexte pour se recentrer sur ses projets plus idéologiques en étant convaincue qu’ils représentaient une solution aux problèmes de l’heure… alors que les Montréalais cherchent manifestement l’inverse.

Si on porte attention aux critiques qui fusent de partout, on réalise que les citadins, les automobilistes et les commerçants ne veulent pas être bousculés par de nouveaux chantiers en cette rentrée qui n’a rien d’ordinaire : ils veulent retrouver un semblant de normalité.

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À la décharge de la mairesse, les voies sanitaires déployées en urgence au début de l’été représentaient bel et bien une réponse aux problèmes mis en évidence par la pandémie.

La piétonnisation favorisait l’achat local. Les terrasses aidaient les commerçants à se renflouer. Les pistes cyclables répondaient à l’engouement exceptionnel pour les vélos.

Et quiconque s’est promené sur Wellington, Mont-Royal ou Bernard cet été a pu constater l’enthousiasme des Montréalais pour ces projets.

Mais voilà : Valérie Plante est allée plus loin que ça, et ça ne passe pas.

Elle a laissé planer l’idée que ses voies ponctuelles pourraient devenir permanentes, alors que les Montréalais veulent revenir à ce qu’était la ville avant la pandémie.

Elle a publié une BD, alors qu’on l’espère en contrôle de l’urgence sanitaire au moment où on craint une deuxième vague.

Elle a relancé tous les chantiers suspendus à la suite du feu vert de Québec, alors que les citadins fuient le métro et souhaitent recommencer à circuler en ville.

Et surtout, surtout, elle a choisi d’aller de l’avant avec sa piste cyclable extralarge rue Saint-Denis, alors que les commerçants sortent tout juste d’un mégachantier et sont menacés de faillite.

Bref, au moment où les Montréalais sont à bout de patience, « la mairesse de la mobilité » leur impose un projet qui ne leur semble pas nécessaire dans le contexte et qui sera dur à justifier cet hiver, alors qu’il aurait visiblement été plus sage de le reporter pour l’instant.

Si bien que le Réseau express vélo (REV) est devenu le symbole de tout ce qui cloche en ville, le catalyseur de toutes les frustrations, la goutte qui fait déborder un vase bien plein. Comme l’avait fait la Formule E il y a quatre ans.

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Disons-le, Montréal sort traumatisé de la première vague de la pandémie, ce que la mairesse semble sous-estimer en poursuivant ses activités, ses projets littéraires et ses engagements électoraux comme si de rien n’était.

La ville a été l’une des plus touchées au monde. Le confinement a fait mal. La patience de tous a été mise à rude épreuve. Et la mairesse semble sourde à cette frustration.

Bref, Valérie Plante est dans sa bulle. Elle semble avoir perdu ses repères, étant plus prompte à critiquer la « désinformation des médias » à son endroit, comme l’avait fait son prédécesseur, qu’à remettre en question son attitude, ses projets et ses priorités alors que la crise sanitaire se prolonge.

À preuve, pour qui suit en dilettante la politique municipale, la mairesse donne l’impression de n’en avoir que pour ses propres dadas : la pratique cycliste, le logement social et les sans-abri. Des enjeux certes très importants, mais qui ne touchent pas nécessairement le citadin moyen.

Un citadin qui en vient ainsi à se demander, lorsqu’il est encore une fois immobilisé entre deux chantiers, si la ville est laissée à elle-même.

Autant de raisons qui expliquent qu’à l’orée de sa dernière année, la mairesse est loin de sa population. Comme le fut Denis Coderre avant sa défaite.

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