Il y a les belles promesses que nous fait miroiter la technologie. Et il y a la réalité pratico-pratique.

Doit-on lancer l’application de traçage Alerte COVID au Québec afin d’aider à réduire la transmission du virus ? Le gouvernement Legault prendra bientôt sa décision.

En théorie, savoir, de façon confidentielle à l’aide d’une application sur son téléphone, si on a passé plus de 15 minutes à moins de deux mètres d’une personne atteinte de la COVID-19 est une idée prometteuse.

PHOTO GIUSEPPE CACACE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

« Peu importe la décision de Québec, votre téléphone portable ne remplacera pas votre masque et votre savon pour les mains », juge notre éditorialiste.

Mais plus on étudie la question, plus la conclusion apparaît évidente : le jeu n’en vaut pas la chandelle. Pas pour l’instant en tout cas.

Les avantages d’une telle application dans la lutte contre la COVID-19 sont, au mieux, marginaux. Alors que les craintes d’atteinte à la vie privée, elles, sont bien réelles.

C’est vrai que l’application développée par des ingénieurs de Shopify et approuvée par le gouvernement fédéral a été conçue pour réduire les possibilités d’atteinte à la vie privée. Elle serait disponible sur une base volontaire (et non obligatoire). Elle n’utilise pas la géolocalisation (très intrusive en matière de vie privée), mais la technologie Bluetooth, qui garde les infos personnelles sur le téléphone. Les utilisateurs qui reçoivent une notification de contact ne reçoivent aucune information sur la personne infectée.

Où est le problème alors ? En pratique, ce type d’application n’est pas très efficace, a-t-on constaté après plusieurs expériences en Europe. Au mieux, il s’agit d’un outil complémentaire au traçage manuel effectué par des employés du réseau de la santé (les enquêtes épidémiologiques), jugé plus efficace.

L’application est peu efficace, notamment parce que les gens sont peu nombreux à l’adopter. Soit parce qu’ils s’en méfient. Soit parce qu’ils n’ont pas de téléphone intelligent. Au Québec, seulement 46 % des gens de 65 ans et plus – les plus à risque de contracter la COVID-19 – ont un téléphone intelligent. Cette fracture numérique n’épargne pas non plus les revenus plus modestes.

En plus, comme la technologie Bluetooth n’est pas totalement fiable dans ce contexte, plusieurs experts craignent que l’application envoie des notifications erronées (parce qu’elle a mal mesuré la distance entre deux téléphones) et qu’elle suggère à des gens de passer un test de dépistage inutilement. Et comme on n’a pas un nombre infini de tests…

Enfin, il y a l’éléphant dans la pièce : le potentiel d’atteinte à la vie privée.

N’en déplaise au gouvernement Legault qui prétend le contraire, le Barreau du Québec, la Commission d’accès à l’information et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse arrivent tous à la même conclusion : les lois québécoises ne sont pas adaptées pour répondre aux enjeux soulevés par une telle application de traçage. Un exemple inquiétant : des employeurs pourraient potentiellement forcer leurs employés à installer l’application pour entrer sur les lieux de travail. On ne peut alors plus parler de consentement libre et volontaire.

Veut-on courir de tels risques d’atteinte à la vie privée pour une application qui donne des résultats aussi mitigés ? Il serait sage que le gouvernement Legault ne s’embarque pas dans cette aventure qui présente peu d’avantages pour le nombre d’inconvénients.

Peu importe la décision de Québec, votre téléphone portable ne remplacera pas votre masque et votre savon pour les mains, des outils nettement plus efficaces pour contrer le virus (et qui ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux).

C’est vrai que l’Ontario et l’Alberta déploieront l’application Alerte COVID. Mais pas la Colombie-Britannique, la province ayant le mieux géré la première vague, qui préfère miser pour l’instant sur le traçage manuel avec des professionnels de la santé.

En prévision de la deuxième vague, Québec vient justement d’annoncer son intention d’ajouter 1000 personnes additionnelles (* ) pour faire du traçage.

C’est moins glamour qu’une application techno. Mais ce sera plus efficace.

*Combien d’employés dans le réseau de la santé au Québec font actuellement du traçage ? Curieusement, le ministère de la Santé affirme ne pas détenir cette information, nous référant plutôt à chaque organisme régional de santé.

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