Il faut respecter la primauté du droit, tout le monde semble d’accord. Le problème, c’est de savoir lequel…

Car dans le conflit avec une partie des Wet’suwet’en, différents droits s’affrontent. Il y a un choc de légitimités.

Le gouvernement Trudeau promet la « réconciliation ». Ce mot, il le répète comme une incantation. Mais il n’a pas osé dire à quel point ce serait compliqué.

Le fédéral et la province de la Colombie-Britannique ne sont pas les seuls à prétendre avoir le droit de leur côté. Les chefs héréditaires wet’suwet’en aussi. Bien avant l’arrivée des premiers colons, ils avaient leur propre système de droit et de gouvernance, et ils n’ont jamais signé de traité avec la Couronne ou cédé leurs terres. Un jugement de la Cour suprême de 1997 a d’ailleurs reconnu leurs droits ancestraux.

Voilà pourquoi il est un peu court de répéter que « la loi et l’ordre » doivent être respectés. Très bien, répondent les chefs héréditaires wet’suwet’en. Mais pourquoi votre droit au lieu du notre ?

Ce qui fait la complexité de ce conflit, c’est que même au sein des Wet’suwet’en, différents droits s’affrontent. D’un côté, il y a celui des conseils de bande, élus démocratiquement, qui appuient le gazoduc mais qui ont seulement autorité sur les réserves. De l’autre se trouvent les chefs héréditaires, désignés par consensus, qui s’opposent au gazoduc et qui ont autorité sur l’ensemble du territoire ancestral.

Il est vrai que les conseils de bande prennent leur pouvoir de la Loi sur les Indiens, cette sujétion coloniale et raciste. Mais les Wet’suwet’en qui n’habitent pas dans les réserves participent eux aussi à ces élections, et le taux de participation ressemble à celui des élections fédérales. Quand les conseils de bande appuient le gazoduc, cela ne peut pas être complètement ignoré.

PHOTO KEVIN LIGHT, REUTERS

Blocage de la Patricia Bay Highway, mercredi, en Colombie-Britannique, en appui aux chefs héréditaires wet'suwet'en

Signe que le sujet est complexe, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, répète depuis le début de la crise que les différents représentants autochtones doivent se « respecter ». Parce qu’on ne peut pas prétendre que certains sont légitimes et que d’autres ne le sont pas.

Cette tension n’existe pas que chez les Wet’suwet’en. Au Québec aussi, des Premières Nations comme les Mohawks et les Micmacs ont aussi une tradition de gouvernance héréditaire.

Le conflit de la Colombie-Britannique n’est donc pas une anomalie. Au contraire, il pourrait donner un avant-goût de l’avenir.

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L’ironie, c’est que la crise actuelle se déroule sous les deux gouvernements les plus sensibles aux revendications autochtones de toute l’histoire du Canada. L’année dernière, le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique a été le premier au pays à adopter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et le gouvernement Trudeau s’est engagé à l’imiter. Petit bémol toutefois : selon la province, la déclaration onusienne ne s’applique pas au gazoduc, car le permis a été accordé avant 2018…

Hier en fin de journée, les négociations se poursuivaient avec les chefs héréditaires. Sans surprise, les choses avançaient lentement.

Même si une entente est conclue, cela n’empêche pas que d’autres conflits surviendront. Car le vice initial demeure, celui de la Loi sur les Indiens.

Même pour un gouvernement ou une entreprise de bonne foi, il est difficile de savoir avec quel représentant autochtone négocier. Avec les conseils de bande ou avec les chefs traditionnels ?

Ce n’est pas devant les tribunaux qu’un nouveau modèle de gouvernance sera trouvé. La preuve : même le jugement Delgamuukw de la Cour suprême de 1997, tant célébré par les Wet’suwet’en, constituait pour eux une victoire incomplète. Il reconnaissait leurs titres ancestraux, mais il leur restait à signer une entente pour faire appliquer concrètement ces droits.

Pourquoi ne pas tout simplement abroger la source du problème, la Loi sur les Indiens ?

C’est ce que proposaient naïvement Jean Chrétien et Pierre Elliott Trudeau en 1969 avec leur Livre blanc. Mais en abolissant les réserves, ces antinationalistes ne proposaient rien de moins que l’assimilation. Face à la grogne des autochtones eux-mêmes, ils ont dû reculer.

Malgré leurs innombrables défauts, les réserves permettent aux Premières Nations de contrôler un territoire. Leurs représentants ne veulent donc pas simplement effacer la Loi sur les Indiens. Ils veulent la remplacer par des ententes leur donnant les moyens de se gouverner en tant que nation.

Aujourd’hui, Justin Trudeau propose de négocier une façon de sortir de cet héritage empoisonné. Cela ne se réglera pas avec les Wet’suwet’en. Cela prendra des années, peut-être même des décennies. Mais à moins de vouloir faire de la crise actuelle une nouvelle tradition, il faudra lancer ce chantier. Ce sera le chantier de toute une génération.

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