Médiatiquement parlant, François Legault a frappé un coup de circuit cette semaine en annonçant la signature d’une « Grande alliance » avec la nation crie.

Le moment pour dévoiler une telle initiative ne pouvait pas être mieux choisi. À Ottawa, le gouvernement libéral reste coincé au marbre, incapable d’avancer et de trouver des solutions à la crise ferroviaire. On l’a de nouveau constaté mardi.

On n’a pas tort de mettre en relief la grogne de la nation wet’suwet’en en Colombie-Britannique et la relation harmonieuse entre Québec et les Cris quant à l’exploitation des ressources naturelles. C’est le jour et la nuit. Mais il serait sage, tout de même, de se méfier à la fois des apparences et des généralisations.

Loin de nous l’idée de minimiser l’importance de la Grande alliance. Les louanges sont de mise.

Il est cependant crucial de souligner que cette entente n’est (hélas !) pas représentative de l’état des relations entre Québec et les communautés autochtones dans leur ensemble.

Deux précisions sont nécessaires pour remettre les choses en perspective.

 – Premièrement, la Grande alliance n’est pas une nouvelle Paix des braves, cette entente laissée en héritage par l’ancien premier ministre péquiste Bernard Landry. C’est plutôt un accord qui découle de cette Paix des braves. La distinction est fondamentale, nous y reviendrons plus loin.

 – Deuxièmement, le gouvernement Legault ne s’est jusqu’ici montré ni à la hauteur des espérances ni à la hauteur de ses ambitions dans les dossiers autochtones.

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Expliquons-nous d’abord au sujet de l’entente avec la nation crie. Sans dire qu’elle allait de soi – ce qui serait faux –, la table était mise pour un tel accord en raison des structures créées dans la foulée de la Paix des braves.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le grand chef du Conseil des Cris, Abel Bosum, et le premier ministre, François Legault

Ce sont d’ailleurs les Cris qui ont interpellé Québec récemment lorsqu’ils ont été mis au courant des intentions « de tirer profit de l’immense potentiel minier du Nord québécois ». Depuis la Paix des braves, ils sont dotés d’un système de gouvernance dynamique (comprenant une vingtaine de comités auxquels participent des représentants du gouvernement) et d’un rapport de force avec Québec. C’est, par-dessus tout, ce qui a permis la mise en œuvre des pourparlers ayant mené à la Grande alliance.

Or, cette approche est l’exception. Dans les autres dossiers d’importance, c’est plutôt le manque de consultation des communautés autochtones par Québec qui est la règle. C’est désolant…

C’est notamment le cas avec le suivi du rapport Viens, point d’orgue de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec. En décembre dernier, la ministre des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, a suscité la colère en affirmant qu’elle souhaitait aller de l’avant avec certaines recommandations sans avoir à consulter les chefs autochtones.

Des leaders autochtones, par ailleurs, ont déploré le fait que le premier ministre n’ait pas cru bon d’assister aux deux premières rencontres portant sur le suivi à donner au rapport. Un signal pour le moins ambigu, il faut le reconnaître.

Et que dire de la décision prise par Québec au sujet de la loi fédérale visant à permettre aux autochtones d’exercer une plus grande autonomie en matière de protection de la jeunesse… Six mois après son adoption par Ottawa, le gouvernement Legault a demandé à la Cour d’appel du Québec de se prononcer sur la constitutionnalité de la législation. Bonjour le dialogue !

Ce même gouvernement s’est aussi mis à dos les autochtones dans le dossier des enfants disparus. Il a tenté de répondre aux préoccupations des familles en déposant des amendements au projet de loi 31, qui modifie la Loi sur la pharmacie. Encore là, il n’a visiblement pas assez consulté la communauté, puisque celle-ci a déploré l’initiative tant sur la forme que sur le fond.

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Le véritable portrait, c’est plutôt à ça qu’il ressemble : une Grande alliance dont il faut se féliciter, mais plusieurs sujets de discorde et de mésentente.

Un dialogue robuste et productif avec la nation crie sur le plan économique avec, en parallèle, plusieurs dialogues de sourds.

À sa décharge, François Legault a lui-même affirmé lundi ne pas avoir « la prétention de répéter la Paix des braves » avec la Grande alliance. Il reste qu’il a évoqué l’idée, comme il l’avait fait encore plus explicitement en campagne électorale, d’avoir des ententes similaires « avec chacune des nations » autochtones.

Il n’est certainement pas trop tard pour mieux faire. Mais il y a loin, très loin de la coupe aux lèvres.

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