Comme dans toute bonne tragédie, la finale était annoncée depuis quelque temps.

Gangrenée par les dettes, Bombardier a dû sortir la hache. Mais après de nombreuses ventes d’actifs, dont la plus récente fut celle de l’A220 (ex-C Series), le mal ne disparaissait pas. Il lui restait un choix peu emballant : être amputée de ses trains ou de ses avions d’affaires ?

C’est finalement la division train qui a été vendue à la société française Alstom — à condition bien sûr que les autorités confirment la transaction, ce qui pourrait prendre de 12 à 15 mois.

Cela marque la triste fin d’un important chapitre de l’histoire économique du Québec.

Dans les années 70, bien avant de se lancer dans l’aviation, Bombardier décrochait un premier important contrat de matériel roulant avec le métro de Montréal. Au début des années 2000, son expansion se poursuivait en Allemagne et ailleurs en Europe.

Vers 2010, Bombardier voulait même s’allier à Alstom dans une transaction d’égal à égal.

Une décennie plus tard, la vente s’est faite dans un tout autre contexte. Cette fois, Alstom a répondu aux signaux de détresse de sa compétitrice.

Il serait tordu d’y voir une bonne nouvelle. Mais à tout le moins, comme pour la vente de l’A220 la semaine dernière, le pire a été évité.

On dit que l’aviation est une industrie cyclique, mais celle des trains contient aussi des risques. À preuve, Bombardier y a brûlé plus de 1 milliard l’année dernière. Des retards et des problèmes techniques lui ont causé des ennuis avec ses clients en Suisse, en Allemagne, en France et aux États-Unis. Et ces problèmes venaient de différentes usines.

La compétition est vive. Le géant du secteur, la société chinoise CRRC, a même décroché un premier petit contrat au Québec en 2017 pour 24 voitures de train de banlieue.

Au Québec, les employés de la division train de Bombardier, à La Pocatière et Saint-Bruno, avaient encore du travail pour un peu plus d’une année avec les contrats actuels, dont la phase II du métro de Montréal. Pour la suite, leur avenir dépendait de l’obtention d’un nouveau contrat.

Avec les mesures protectionnistes du président Trump, le marché américain se referme. Le marché local devient plus important et un des prochains contrats à venir sera celui du tramway de Québec. Bombardier et Alstom seront compétiteurs, mais si la transaction est adoptée, peu importe le résultat, leurs employés établis au Québec pourront en profiter. Quant aux anciens employés, leur régime de retraite sera transféré à la société française, en meilleure santé financière.

PHOTO DENIS BALIBOUSE, ARCHIVES REUTERS

« Ce n’est pas parce qu’on trouve matière à consolation qu’il faut se réjouir », souligne notre éditorialiste.

Soulagement, le siège social nord-américain d’Alstom, qui est actuellement à New York, sera déménagé dans la région montréalaise.

Reste que ce n’est pas parce qu’on trouve matière à consolation qu’il faut se réjouir…

Dans le contexte de la crise climatique, la division des trains était particulièrement prometteuse. Le président Trump n’est pas éternel et la marché américain offre de formidables possibilités de croissance. Notre fleuron aurait ainsi pu s’enrichir tout en contribuant à lutter contre le grand défi de notre époque.

La Caisse de dépôt et placement en profitera, bien sûr – elle détenait près du tiers des parts de Bombardier Train, et deviendra l’actionnaire principal d’Alstom (18 %), en plus d’avoir deux sièges au conseil d’administration.

Au terme de ce démantèlement, il ne reste que la division des avions d’affaires, qui dessert les ultra-riches, les multinationales et les grandes institutions.

Il est vrai par contre que ce marché est en croissance, et aussi que Bombardier y occupe une position de force et peut se vanter d’offrir des modèles propulsés aux biocarburants. Il est toutefois difficile de prévoir où en sera ce secteur d’ici quelques décennies.

Reconnaissons que le morceau restant est d’une importance névralgique pour le Québec. Il emploie quelque 10 000 personnes chez nous et sert de colonne vertébrale à notre grappe aéronautique. En excluant le secteur automobile, c’est le plus grand employeur industriel du pays, et en tant qu’exportateur, il améliore notre balance commerciale.

Si la vente à Alstom est approuvée, Bombardier prévoit pouvoir réduire sa dette à 2,5 milliards US. Il ne reste plus qu’à croiser les doigts en espérant que ses finances s’assainiront et que les commandes permettront d’engranger les profits et de protéger les emplois.

Signe d’un certain scepticisme des experts, lors de la conférence téléphonique de lundi, un analyste financier a demandé à la direction si elle envisageait de vendre la division d’avions d’affaires.

« Non », a répondu le patron, Alain Bellemare. C’est la moindre des choses… Parce que si c’était le cas, la finale aurait été absurde : pour sauver le malade, on aurait fini par le démembrer au complet, de la tête aux pieds.

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