Ça se passait en 1991, autant dire il y a des siècles.

Dans le cadre d’une révision du mandat du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), Françoise Bertrand, qui présidait l’organisme à l’époque, avait écarté l’idée d’imposer quelque contrainte que ce soit aux diffuseurs internet, qui en étaient alors à leurs balbutiements.

« En ne réglementant pas les services des nouveaux médias, nous espérons favoriser leur essor au Canada », avait-elle tranché.

Trois décennies plus tard, ces « nouveaux médias » ont bien grandi, merci. Même qu’ils ont envahi l’espace culturel partout sur la planète. On parle de Netflix, Amazon Prime, Apple Music, Crave, Spotify et autres canaux de diffusion culturelle inimaginables en 1991.

Sauf pour Netflix, qui doit réinjecter une partie de ses revenus canadiens au pays en vertu d’une entente conclue en 2017, tous ces autres géants du web n’assurent aucun retour sur les profits qu’ils engrangent au nord du 45e parallèle. Ils n’ont aucune obligation financière ou réglementaire. C’est du tout cuit dans le bec.

Cette situation crée une profonde iniquité aux dépens des diffuseurs canadiens qui, eux, ont l’obligation de détenir une licence et de reverser une part importante de leurs revenus dans la production nationale. Injustice d’autant plus criante que ces diffuseurs canadiens de films et de musique voient leurs revenus fondre à vue d’œil – notamment en raison de la concurrence des ogres de l’internet.

Exemple : en 1996, le Canada se dotait d’un fonds destiné à puiser dans les goussets des câblodistributeurs pour reverser une partie de leurs revenus d’abonnement aux productions d’ici.

Aujourd’hui, l’avenir des câblodistributeurs n’est plus aussi rose, alors que les entreprises qui leur font concurrence ne font qu’encaisser sans rien remettre dans la cagnotte.

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Le projet de loi C-10 présenté le 3 novembre par le ministre du Patrimoine, Steven Guilbeault, a le grand mérite de vouloir corriger cette iniquité et renflouer une industrie culturelle dont les revenus fondent à vue d’œil.

On parle ici d’une possibilité de 830 millions par an qui, si tout va bien, financeront des projets de création télévisuelle ou musicale made in Canada.

Les diffuseurs web passeront sous l’autorité du CRTC et sortiront du vide réglementaire où ils évoluent actuellement.

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« Ce “grand bond en avant” numérique était attendu depuis longtemps », explique Agnès Gruda.

Ce « grand bond en avant » numérique était attendu depuis longtemps. Il ne règle pas tous les problèmes causés par la concurrence déloyale des géants du web. Il n’est pas question, ici, de taxer les réseaux sociaux, par exemple.

Mais comme le premier ministre Justin Trudeau s’y est engagé dans son dernier discours du Trône, et comme le Canada s’inscrit dans une démarche internationale visant à soumettre les Facebook, Google et autres GAFAM à des contraintes harmonisées, on peut raisonnablement espérer que ce dossier finira par se régler lui aussi.

Le projet de loi C-10 n’est de toute évidence qu’un début. Ne serait-ce que parce qu’Ottawa envoie la responsabilité de définir les détails de ce nouveau cadre réglementaire dans la cour du CRTC – avec quelques balises à l’appui.

C’est d’ailleurs le CRTC qui définira les critères de production francophone, Ottawa se contentant de lui demander de l’encourager.

Les partis de l’opposition ont rapidement enfourché ce cheval de bataille, reprochant à Steven Guilbeault d’avoir omis d’inclure des quotas francophones dans son projet de loi.

Dans son volumineux rapport, le groupe de travail sur l’avenir des communications au Canada, dont le rapport inspire le gouvernement Trudeau, n’a pourtant jamais évoqué l’idée de quelque quota que ce soit.

La productrice Monique Simard, qui a siégé au sein du groupe d’experts, rappelle que le CRTC a déjà les outils nécessaires pour agir sur ce terrain.

Pour elle, le nerf de la guerre, la question à régler de toute urgence, c’était l’élargissement de l’autorité du CRTC à ces anciens « nouveaux médias » devenus des mastodontes. Et de faire participer ces derniers à la production culturelle canadienne.

Sans tout régler, le projet de loi C-10 va dans cette direction.

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