Il y a plus d’un an que le gouvernement Trudeau soutient ne pas pouvoir rapatrier les ex-djihadistes canadiens, leurs femmes et leurs enfants internés dans le nord de la Syrie, parce qu’une telle opération serait trop dangereuse. Et parce que le Canada n’a pas de représentation diplomatique à Damas.

Le rapatriement surprise d’Amira, orpheline de 5 ans dont la famille a péri dans un bombardement au moment de l’ultime offensive contre le groupe État islamique, en hiver 2019, montre que ces justifications ne tiennent pas la route.

S’il a été possible de ramener la fillette à son oncle canadien, il est vraisemblablement possible d’aller récupérer les 46 autres Canadiens – 8 hommes, 13 femmes et 25 enfants – coincés au Kurdistan syrien.

Les gardiens kurdes qui veillent sur eux ne rêvent que d’une chose : les voir partir. Plusieurs pays dont la France, la Russie ou encore la Norvège ont entrepris de rapatrier leurs ex-djihadistes. Les États-Unis ont terminé l’opération de rapatriement et s’apprêtent à traduire « leurs » djihadistes devant la justice.

Bref, les prisons et les camps où croupissent les Canadiens ne sont ni inaccessibles ni particulièrement dangereux.

Le poignant documentaire Les poussières de Daech, diffusé récemment par Télé-Québec, prouve qu’on peut visiter le camp Al-Hol, lieu insalubre où vivent les femmes et les enfants, et les prisons où sont détenus les hommes, sans mettre sa vie en danger.

PHOTO DELIL SOULEIMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le camp Al-Hol, où vivent des femmes et des enfants d’ex-djihadistes canadiens.

C’est ce qu’ont fait le réalisateur Raed Hammoud et la Montréalaise Leïla Sakhir, partie sur les traces de son frère Youssef, disparu en Syrie. Elle a pu y rencontrer sa belle-sœur et sa nièce, enfant canadienne qui n’a pas choisi de venir au monde dans un pays en guerre, de parents ayant épousé une idéologie meurtrière.

Si Raed Hammoud et Leïla Sakhir ont pu se rendre au camp Al-Hol où les femmes et les enfants de djihadistes vivent dans des conditions inhumaines, si l’oncle d’Amira a pu y aller lui aussi et si la fillette a fini par être rapatriée, c’est que c’est faisable.

Encore faut-il le vouloir.

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La nouvelle du rapatriement a été annoncée lundi dernier par le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne. D’emblée, il a averti qu’il ne fallait pas l’interpréter comme un changement de cap à Ottawa. On est devant une exception humanitaire, pas une nouvelle règle.

Mais cette exception se justifie-t-elle vraiment par des raisons humanitaires ? Parce que la petite est orpheline et qu’elle était seule au bout du monde alors qu’une famille se débattait pour en prendre soin ?

Ou bien Ottawa a-t-il plutôt fini par plier pour éviter un procès, l’oncle de la fillette ayant intenté des procédures judiciaires pour forcer le gouvernement à agir ?

Quoi qu’il en soit, il y a 25 autres enfants canadiens qui souffrent de froid et de faim et dont le rapatriement se justifierait tout autant que celui d’Amira. À commencer par la nièce de Leïla Sakhir…

Des organisations internationales ont appelé le Canada à ramener ses ressortissants : Human Rights Watch, l’International Crisis Group, sans oublier la rapporteuse de l’ONU pour les exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard. Pas seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi pour respecter nos engagements internationaux.

Bien sûr, ça pose une question de fond : que faire des anciens combattants, qui doivent assumer la responsabilité de leurs gestes ?

Ce n’est pas évident de juger des actes commis dans une guerre lointaine. Mais ce n’est pas impossible. C’est même une obligation légale pour le Canada en vertu des principes de justice internationale auxquels nous adhérons.

Et c’est précisément pour ça que le Canada s’est doté d’une Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Elle existe, utilisons-là.

En attendant, commençons par ramener les enfants et leurs mères comme le recommande l’International Crisis Group.

Et surtout, arrêtons de dire que c’est trop dangereux d’aller les chercher au Kurdistan. C’est tout simplement faux.

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